Cet article est respectueusement dédié à la Fondation Seguin

La plupart des visiteurs qui se rendent en Haïti ignorent qu’il existe dans le sud-est du pays un village, perché à 1800 mètres d’altitude, qui vit un peu à l’écart du monde, près d’une magnifique forêt de pins.
Ce village, c’est Seguin, situé au cœur du parc national La Visite.

Pour y arriver, environ trois heures de route, en moto, depuis Jacmel. Ou une longue – et inoubliable – journée de marche, à partir du village de Furcy, sur un chemin ancien qui franchit les ravins et serpente au milieu des mornes.
(Le village de Furcy est lui-même situé à près de trois heures route au-dessus de Port-au-Prince.)


Les quatre images qui suivent ont été prises il y a un peu plus de sept ans, en juillet 2010, lors de ma première randonnée sur ce chemin exceptionnel qui culmine à plus de 2000 mètres d’altitude…


Je suis arrivé cette fois-ci à Seguin en fin d’après-midi, le dimanche 21 janvier, alors que le village, en fête, célébrait plus tôt dans la journée deux mariages et la consécration d’une nouvelle église….

Étourdis par les bruits de la fête et les verres de rhum ou de clairin (alcool clair et fort) avalés depuis le matin, les paysans regagnent lentement leurs maisons.
Les femmes portent sur la tête de grands paniers remplis de victuailles, de provisions…

J’ai l’impression d’être dans les Andes.
Autour de moi, comme au Pérou ou en Bolivie, la même lumière, et les mêmes visages, burinés par le soleil et l’altitude…

C’est mon troisième séjour à Seguin. Dès mon arrivée, je retrouve avec plaisir la belle et solide auberge qui accueille depuis plus de vingt ans visiteurs et randonneurs du monde entier….

À peine descendu de moto, un délicieux repas est servi. Tout est fait maison ici. Les légumes, la viande, le café, toute la nourriture – y compris l’eau, de source – provient d’un rayon d’environ un kilomètre autour de l’auberge.

Je suis aussi ici afin de revoir mon ami Winnie, personnage connu et respecté dans la région de Seguin.

Nous aurons comme d’habitude pendant mon séjour de longues et chaleureuses conversations…
Comme la plupart des enfants des familles haïtiennes qui ont fui avec leurs parents, au début des années soixante, la dictature du président François Duvalier, Winnie, comme mes frères et moi, enfant et adolescent, a vécu et a été scolarisé un peu partout.
En France d’abord, à Cannes, puis en Suisse, en Afrique ensuite, à Ouagadougou, en Haute-Volta (aujourd’hui le Burkina-Faso) où travaillait son père, et aux États-Unis enfin, avant de redécouvrir, jeune adulte, Haïti, qu’il n’a plus quittée…


Première randonnée le lendemain de mon arrivée sur le chemin principal qui traverse la forêt de pins. Notre destination est le petit village de Cayes-Jacques (« la maison de Jacques »), situé à 90 minutes de marche, sur la route de Furcy.


Mon guide et professeur pour la journée s’appelle Obnès.
Né à Seguin, la quarantaine, il est déjà père de huit enfants, un garçon et sept filles, dont Lilliane, la jeune femme de 22 ans dont la photo ouvre cet article. Obnès travaille aussi à temps partiel pour la Fondation Seguin.

Nous suivons sans difficulté le chemin qu’empruntent chaque jour les motos et les centaines de paysans en route pour les villages avoisinants….
Autour de nous, accroupis dans l’herbe, des groupes de femmes et d’enfants s’affairent à leur lessive…

… en moins de 90 minutes nous avons rejoint le petit marché de Cayes-Jacques…
Marché de subsistance, perché au-dessus d’une longue pente rocailleuse qui descend vers Furcy…


À Cayes-Jacques aussi les marchandes ne vivent qu’avec quelques gourdes par jour… Envoyer ici les enfants à l’école publique est un énorme défi financier car il faut payer l’inscription, les uniformes, quelquefois les livres…
Grand sentiment de précarité dans ce petit marché de montagne. Et une immense dignité.


Pour le retour à Seguin, Obnès me propose de prendre un chemin différent, « un raccourci« , dit-il, « par la forêt« . Il a un air mystérieux…
J’obtempère, et je le suis….
Après une quinzaine de minutes de marche, alors que nous pénétrons au coeur de la forêt des pins, terrible surprise… et grande tristesse…
Le parc national qui, à première vue, sur le chemin principal, semblait boisé, verdoyant, est, à l’intérieur, attaqué de tous côtés…
À mesure que nous progressons vers Seguin, nous apercevons des dizaines d’arbres, de troncs, brisés, brûlés. Des pans entiers de la forêt ont été mutilés.
Que se passe-t-il?
Obnès m’explique avec chagrin que certains paysans, afin d’augmenter leurs revenus, n’hésitent pas à tailler l’écorce puis le tronc des pins pour en soutirer la résine.
Résine qu’ils vendent ensuite dans les marchés sous forme de bougies ou de chandelles…
Les petits fagots de bois, taillés dans le pin et enduits de résine, sont également très en demande dans les marchés du pays. On les connaît dans la région de Jacmel sous le nom de « bois gras » ou « bois pin« .
Ce petit bois – qui sert à allumer le charbon et à attiser le feu sur lequel cuisent les marmites – est devenu presque indispensable dans la vie quotidienne et dans les cuisines de fortune des paysans…

La Fondation Seguin essaie, depuis des années, avec peu de moyens, d’éduquer la population paysanne. Combat colossal, quotidien et inégal.
Si les plus jeunes et les élèves inscrits dans les écoles de Seguin semblent, en général, avoir développé une sensibilité qui les encourage à préserver leur environnement, pour les paysans plus âgés, le « bois gras » est une source de revenus dont ils ne peuvent plus se passer…
J’aimerais saluer ici le travail de la Fondation Seguin.
À partir d’un petit centre de travail et de recherche établi à quelques pas de l’Auberge La Visite, une poignée d’agronomes et de bénévoles (souvent étrangers) essaie de façon remarquable de combattre la lente et inexorable déforestation du parc national. Qu’ils soient félicités et remerciés.
Cependant, malgré le soutien de quelques ONG internationales (allemandes, espagnoles…) et l’appui financier de deux ou trois ambassades, les subventions sur lesquelles pouvait compter jadis la Fondation sont de plus en plus rares. Et une partie du travail, des acquis et des projets réalisés par l’équipe est aujourd’hui en péril.
Une douzaine d’employés de la pépinière de la Fondation ont récemment été mis à pied, faute d’argent.
Une demie-douzaine de gardes forestiers, employés par le ministère de l’environnement et affectés à la surveillance et à la bonne gestion du parc, n’ont pas été payés depuis plus de dix-huit mois. Ils ont, temporairement, démissionné. La défaillance – le désintérêt – de l’état est flagrante. Impardonnable.
Combien de temps encore la Fondation pourra-t-elle poursuivre sa mission?
Pour infos supplémentaires sur le triste phénomène du déboisement en Haïti, SVP voir ci-dessous l’extrait d’un documentaire (déjà mentionné dans Lettre de Jacmel) réalisé en 2016 par Mario Delatour – « De Kiskeya à Haïti: mais où sont passés nos arbres??? »



Le brouillard s’est levé, et il faut déjà repartir, après trois jours à Seguin…

La longue descente en moto vers Jacmel est, comme d’habitude, vertigineuse…
En un peu moins de trois heures, après avoir traversé les villages de moyenne montagne de Fonds-Jean-Noël, Pistache et Pérédo, nous arrivons, au niveau de la petite ville de Marigot, au bord de la mer des Caraïbes…
Le contraste est saisissant…


Dernière étape avant de rentrer à Jacmel, l’hôtel Cyvadier, situé à une dizaine de kilomètres à l’est de la ville…
… hôtel où j’ai le grand plaisir de retrouver, comme prévu, des amis de longue date de notre famille… en visite eux aussi en Haïti…



De retour à Jacmel, à l’approche du carnaval, l’atmosphère est de plus en plus festive.
Les rues de la ville, et le jardin de mon hôtel, sont régulièrement envahis par des groupes de musiciens et de danseurs qui déambulent, costumés, en quête d’attention et d’une poignée de gourdes…
Après dix minutes, ils repartent déjà, tambours, sifflets, bouteilles de rhum et de tafia à la main … perpétuant la grande tradition de fête du carnaval haïtien…
Dans quelle autre île des Caraïbes peut-on vivre, à l’improviste, plusieurs fois par jour pendant le carnaval, un tel événement?…

Une de mes dernières excursions m’a conduit le 27 janvier jusqu’au village de Lafon (à quarante minutes de moto au nord de Jacmel) où a lieu, tous les samedis, un grand marché…

… mais c’est la peinture qui m’amène ici.
Une famille de peintres, la famille Laurent, (SVP cliquez sur le lien, en gras, pour infos supplémentaires) connue, réputée, appréciée en Haïti et à l’étranger, habite dans le village, à une vingtaine de minutes de marche au-delà du marché… et je suis bien décidé ce samedi matin à les rencontrer…



Les Laurent, le père, Maccène, 71 ans, et son fils, Olivier, 43 ans, sont aux champs. On les appelle…
Rencontre émouvante et respectueuse de ces deux peintres talentueux, dont une des toiles a été vendue, cet automne, à une des ambassades européennes de Port-au-Prince…
Une longue et délicate négociation (en créole) débute avec les deux artistes… autour de deux tableaux accrochés aux murs de l’atelier qui me plaisent particulièrement. L’un de Maccène, l’autre d’Olivier….


Il nous faudra environ vingt minutes pour nous mettre d’accord…


… et, après de multiples remerciements, accolades et de vigoureuses poignées de mains, j’emporte avec moi, vers Jacmel, à pied, puis en moto, soigneusement enroulés, mes précieux tableaux…

Avant de quitter Haïti, quelques dernières images de la gastronomie du pays…



…et un ultime coup d’oeil sur le jardin de l’auberge La Visite à Seguin…


















































































Un festival de danse et de musique… conjugué à un somptueux ballet aux couleurs tropicales.
La parade du carnaval se déroule dans une ambiance surchauffée de kermesse, de réjouissance, de liesse populaire, de fête indescriptible!

Le carnaval met en scène différentes figures du folklore de la culture haïtienne.































































