Raivavae est sans aucun doute l’île la plus sauvage que nous avons visitée jusqu’à présent en Polynésie française.
L’une des plus belles et captivantes aussi.

Halte sur une petite plage lors de notre première randonnée en vélo, le jeudi 4 mai, sur l’île de Raivavae, dans l’archipel des Australes, en Polynésie française

Un peu plus tôt le même jour, alors que je me promène devant notre bungalow, Joanne, ci-dessus, traverse la route avec un grand sourire pour me souhaiter la bienvenue à Raivavae! Elle va chercher son pain. Née aux îles Tuamotu, Joanne est arrivée avec sa famille à Raivavae à 17 ans. Elle n’est jamais repartie.

Raivavae, dans l’archipel des Australes (l’île est malheureusement mal orthographiée sur la carte)

Une route presqu’entièrement goudronnée et plate d’environ 20 kms fait le tour de Raivavae. L’île est située au coeur d’un magnifique lagon encerclé d’une série de motus (atolls). Il y a quatre villages à Raivavae: Vaiuru, Rairua (le plus important), Mahanatoa et Anatonu (souligné en bleu) où est située notre pension.

Lors de nos promenades en vélo, nous allons comme d’habitude à la rencontre des riverains, aussi heureux que nous ici de faire connaissance! Longue conversation le vendredi 5 mai avec Nui Flores qui travaille dans son champ de taro (un turbercule) près du village de Mahanatoa.

Nui Flores nous parle de sa plantation, de sa famille, qui vit à Raivavae depuis plusieurs générations. Nui Flores revendique fièrement ses racines espagnoles et portugaises. Le maire de Raivavae, Bruno Flores, réélu en 2020, appartient à une autre branche de la même famille Flores.
Environ 900 habitants vivent ici paisiblement de la pêche, de l’agriculture, du tourisme.
Tout le monde se connaît. Et se retrouve régulièrement lors des événements et des fêtes qui ponctuent la vie des quatre petites communes de l’île.

Participants à la grande fête du Mè au village de Vaiuru, le dimanche 7 mai. Le Mè est une importante célébration qui réunit chaque dimanche pendant tout le mois de mai

la communauté protestante à Raivavae et dans tout dans l’archipel des Australes. Voir détails plus bas.
Malgré la construction en 2002 d’un aéroport qui permet de rejoindre Papeete en deux heures, une poignée de visiteurs seulement s’aventure chaque année jusqu’ici.

Diana devant notre bungalow, situé au bord du lagon

à la pointe nord-est de l’île
Car la météo est capricieuse à Raivavae. La nature, parfois hostile. Il pleut souvent. Comme dans les autres îles de l’archipel.
Nous avons donc eu droit pendant notre séjour à plusieurs averses abondantes et à de très fortes rafales de vent. Nous avons même pendant deux jours été privés d’internet, pour cause de forte houle.
Heureusement, ces intempéries ont été suivies de plusieurs longues et belles éclaircies. Nous avons eu des journées splendides!

Un riverain rentre tranquillement chez lui, au sud de Rairua le mardi 9 mai

Sur la paisible route de ceinture, à quelques centaines de mètres de notre pension, rencontre avec…

Poema, née à Raivavae. Son nom en tahitien signifie « la perle propre« . Poema tient dans les mains des bouteilles remplies de petits coquillages. Elle part ce matin-là fabriquer chez elle des colliers et des bracelets.
Raivavae compte six pensions de famille disposant chacune de chambres ou de bungalows. Les logements sont très rarement tous occupés en même temps. En fait, à part les deux sympathiques couples (de St-Malo et de Paris) hébergés à notre pension, nous n’avons pratiquement vu ici aucun autre touriste.

Nous rencontrons tôt un matin, au sud d’Anatonu, Bernard qui revient de sa pêche quotidienne aux algues. Ces algues, « le caviar vert » des Australes, seront lavées, séchées puis vendues un peu plus tard dans les commerces et pensions de Raivavae…

Bernard, ci-dessus, revenant de sa pêche, travaille aussi à la Mairie de Raivavae… et son épouse

Rofina, vend devant leur domicile des concombres géants, des papayes, des pamplemousses récoltés dans leur jardin. Rofina a aussi dans les mains les algues ramenées par son mari. Merveilleuse polyvalence des Polynésiens!

Paysage typique du littoral de la côte nord de Raivavae, entre Anatonu et Raiuru
Il n’y a pas d’hôtel à Raivavae. Les résidents (comme à Maupiti) n’en veulent pas. L’île a un restaurant, souvent fermé. Aucune banque (seulement un DAB à la poste). Pas de transport collectif. Ni de location de voiture. Très peu de circulation automobile.
La meilleure façon de se déplacer à Raivavae est le vélo. En version électrique, souvent, pour les résidents.

Grande randonnée autour de l’île, le samedi 6 mai. Conversations amicales en route avec les habitants. Ci-dessus, sur la droite, Ismaël et son épouse Tania

Nous nous dirigeons ce jour-là vers la redoutable route transversale, abrupte, qui relie les communes de Mahanatoa et Vaiuru. Randonnée épique!
Trois ou quatre petits « magasins » vendent aux riverains quelques produits de première nécessité, le pain, l’huile, le riz, des pâtes, des soupes chinoises, en paquets. Une bouteille de vin très ordinaire coûte 2000 CFP Francs Pacifique (17 euros ou Can$25).
La plupart des habitants cultivent chez eux un petit potager où poussent des légumes (pommes de terre, salades, taro, tomates) et des arbres fruitiers (papayes, citrons, oranges)
Comme dans les autres petites îles en Polynésie, on se débrouille ici pour les services comme on peut. On fait appel à un voisin pour la plomberie ou pour régler un problème d‘électricité. On vend sur le bord de la route les produits de son jardin.
La communauté – à 90% protestante – est très soudée. Il n’y a ici aucun sans-abri ou de banque alimentaire, comme à Tahiti.

Nouvelle conversation un matin avec Marie qui propose devant son jardin des bottes de chou chinois (bok choi). On les appelle ici « pota ».

Marie nous parle elle aussi longuement de ses origines. Son père, français, était légionnaire. Sa mère vient de Tahiti. Sur la gauche, on aperçoit une partie de l’édifice qui était autrefois l’école primaire.

Le chou chinois, préparé à la pension, était excellent et nous retournons chez Marie quelques jours plus tard. Cette fois, c’est son mari Yves qui va dans le jardin déterrer pour nous

deux nouvelles bottes de chou. Impossible de manger plus local et plus frais!

Petit-déjeuner à notre pension autour d’Eléonore (robe rouge, à gauche) et de son mari Denny, debout à ses côtés.
Comme souvent en Polynésie française, un des moments que j’apprécie le plus est le rituel des repas pris en commun le soir avec notre famille d’accueil. Les oreilles grandes ouvertes, nous écoutons attentivement les informations que partagent nos hôtes sur l’histoire de leurs îles.
Un soir, autour de la table du souper, Eléonore, la propriétaire de notre pension, n’hésite pas à résumer la façon dont la vie quotidienne a changé à Raivavae où elle est née, il y a plus de soixante ans.
« Raivavae autrefois produisait du café », nous dit-elle. Mais les plantations ont peu à peu disparu dans les années soixante, précise-t-elle, lorsque les hommes de l’île sont partis travailler à Papeete et ailleurs afin de construire les nombreuses infrastructures du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) – l’organisme responsable de gérer les essais nucléaires français en Polynésie française entre 1966 et 1996.
Presque du jour au lendemain, les petites communes dans les Australes, dans les Tuamotu, dans les Îles Sous-le-Vent, se sont vidées. Les hommes sont partis, en masse, attirés par les paillettes de la ville (Papeete), l’argent facile et les salaires alléchants offerts dans les chantiers du CEP.
Cet exode a eu un effet domino dévastateur dans ces petites îles. Les hommes étaient les pêcheurs, ceux qui ramenaient tous les jours à la maison du poisson pour nourrir leurs familles. Ils cultivaient aussi les champs, entretenaient les plantations, de café notamment. Laissés maintenant à l’abandon.
Une fois les hommes partis, les sources d’alimentation dans les îles ont été bouleversées. Au milieu des années soixante, les boites de conserve venues de Tahiti ont progressivement remplacé le poisson frais. Le Nescafé est arrivé. Les grandes bouteilles de boissons gazeuses aussi. Ces produits nocifs importés de la métropole ont envahi le marché. Les traditions alimentaires des Polynésiens ont été profondément modifiées.
On apprend en lisant la presse que le Coca-Cola produit aujourd’hui en Polynésie est le plus sucré du monde. Et que le taux de sucre dans ces sodas augmente chaque année. Impunément. C’est inexcusable. Comment un gouvernement peut-il laisser des entreprises traiter ainsi les citoyens?
Les taux d’obésité et de diabète sont très élevés en Polynésie française. 70% de la population adulte est en surpoids dont 40% au stade d’obésité.
Eléonore conclut cette leçon d’histoire par une une note plutôt optimiste. Elle nous apprend que le gouvernement nouvellement élu le 30 avril, gouvernement indépendantiste, a dans son programme un vaste projet visant à encourager et à subventionner sur le territoire la reprise de pratiques agricoles traditionnelles. Quelle excellente idée!
Tous nos vœux de succès aux nouveaux élus et aux communes qui adhèreront à ce projet!

Nous avons revu le lendemain Nui Flores dans son champ de taro, la boue jusqu’aux genoux. Son compagnon de travail, Samuel, est à ses côtés. Nous leur avons communiqué les informations partagées par Eléonore. Nous les avons aussi encouragés à prendre contact avec la Mairie de Raivavae. En espérant de tout coeur qu’ils puissent tous les deux bénéficier de ce nouveau programme.
Grande effervescence le samedi 6 mai dans les communes de Raivavae! On célèbre le lendemain la grande fête du Mè!

Un groupe de riverains ci-dessus, nettoie le terrain de l’église protestante située juste derrière notre pension, à Anatonu.
De l’autre côté de l’île, dans le village de Vaiuru où doit avoir lieu cette première célébration du Mè, Guillaume, ci-dessous, à droite, accompagné des membres de la communauté, s’affaire. Il n’y a pas une minute à perdre! Plus de 200 convives sont attendus le lendemain pour le déjeuner dans la salle paroissiale de Vaiuru.

Guillaume en pleine préparation. Au menu: poulet et cochon cuits au four et, sur la table à gauche, du poisson enveloppé dans une feuille de « auti ».

En compagnie de Guillaume, pêcheur et agriculteur, né à Raivavae, père de trois enfants. Il nous invite gentiment à assister au Mè le lendemain. Nous acceptons avec plaisir!
Dimanche, 7 mai. C’est le grand jour!
Des quatre coins de l’île, hommes, femmes et enfants se pressent devant l’église protestante de Vaiuru.

Les participants, grands sourires aux lèvres, descendent du bus

scolaire de la commune

Tout le monde est sur…

… son trente-et-un!
A l’intérieur de la salle, des chants, des cantiques, de la musique, une ambiance extraordinaire!

Les musiciens (Guillaume est à gauche) sont vêtus du costume

de leur paroisse

Les femmes portent sur la tête des couronnes de fleurs et de feuilles cueillies le matin même dans leurs jardins.

C’est la tradition!
Un des objectifs principaux du Mè est de recueillir des membres de la paroisse des fonds pour l’église protestante de la Polynésie française.
Ces fonds serviront en partie à subventionner le coût des voyages des pasteurs et des missionnaires en Polynésie et ailleurs dans le monde.
Chacune des quatre communes de l’île organisera, dans sa paroisse, pendant le mois de mai, son propre Mè. Il y aura donc à Raivavae cette année quatre Mè – les 7, 14, 21 et 28 mai – événements auxquels participent les membres de la communauté protestante, s’ils le désirent.

Des dignitaires de la commune de Vaiuru officient et gèrent solennellement l’événement.
Je me suis renseigné. Pour la seule île de Raivavae, les fêtes du Mè rapportent chaque année à l’église protestante de la Polynésie française plus de 5 millions de francs CFP, l’équivalent de 50 000 euros ou CAN $73 000.

Sur la côte sud de Raivavae

Terei devant sa maison accompagnée de ses enfants qui rentrent de l’école primaire
Nous avons passé ici l’un de nos plus beaux et authentiques séjours en Polynésie française!
Notre vol de 40 minutes pour Tubuai – notre deuxième étape aux Australes – part vendredi après-midi.
Cela a été un vrai bonheur de retrouver à Raivavae l’accueil chaleureux et le sourire des Polynésiens.
L’aventure continue.
On vous embrasse.

Ultime balade en vélo autour de Raivavae, le jeudi 11 mai.

Nous rentrons à la maison, notre pension est située juste en face de l’église, côté mer.

Nous avons le temps juste avant notre départ le vendredi 12 mai d’assister à Anatonu

à la préparation du repas du Mè qui aura lieu dimanche (le 14) dans la commune

Pièce maîtresse du menu: « le cochon« , comme on l’appelle qui est ici pesé avant d’être dépecé quelques minutes plus tard.
Toujours aussi passionnants tes carnets Max! Merci et bonne continuation de votre voyage!
Merci beaucoup, Josiane! Nous avons vraiment a-d-o-r-é notre séjour à Raivavae. A chacune de nos étapes en Polynésie, nous écoutons les habitants et nous apprenons tellement de choses sur ces îles fascinantes qui ont chacune leurs traditions et une histoire bien particulière. Nous sommes depuis vendredi à Tubuai. Une autre belle découverte. Porte-toi bien. A bientôt.
Sur la carte,
je vois que Raivavae n’est pas tellement loin de l’atoll de Mururoa où se sont tenus les essais nucléaires français. On a bien documenté les effets sur la santé de ces essais sur les habitants de Mangarova (archipel des Gambier, 500 km de Mururoa) où nous étions le mois dernier. Est-ce le cas pour Raivavae ou ailleurs dans l’archipel des Australes?
Allo Alix, c’est une bonne question, je me suis renseigné avant de partir auprès de notre hôte Eléonore qui est née à Raivavae et qui connaît bien son île. Il n’y a pas eu selon elle d’effets négatifs sur la santé des habitants qui sont restés à Raivavae. Par contre, quelques hommes partis travailler sur les chantiers du CEP sont revenus avec des séquelles et certains de leurs enfants/compagnes ont à leur tour souffert de maladies. Il y a donc assurément un lien. Un lien sur lequel des groupes comme l’Association 193 travaillent activement. Bon retour à Montréal!
Love the smiling people, floral crowns and picturesque rural scenes! Such a fabulous start to your return to the Polynesian islands.
Thank you so much HITD! It would have been great to have you experience with us these wonderful islands! You would love it here! I hope everyone is coping well with the current (and early) heat wave in Vancouver. A bientôt.
que de belles rencontres sur Raivavae! tant de couleurs, de joie et de sens de la communauté! c’est grâce a vous 2 que je découvre cette belle ile si lointaine et ses habitants chaleureux; Régalez vous chaque instant! bises
Merci infiniment, Christiane! Cela nous fait vraiment plaisir d’avoir de tes nouvelles pendant ce voyage où nous découvrons tous les jours tant de merveilles. Les habitants dans ces petites îles des Australes sont, comme partout où nous sommes passés en Polynésie, ouverts et généreux. Nous sommes à Tubuai depuis 5 jours. Notre bonne étoile nous accompagne, journées chaudes, ensoleillées. Nous profitons de la plage, à deux pas de notre pension. Seul inconvénient, l’internet et le wifi ici sont très, très lents. Difficile de télécharger même une photo. ll faudra donc attendre Rurutu, notre prochaine escale, ou même aller jusqu’à Papeete, fin mai, avant de partager un nouvel article. Profite bien de tes belles randonnées dans le sud-ouest et au-delà. Tu nous manques et nous avons bien hâte de te revoir. Bises.