Le carnaval de Jacmel

Grande effervescence cette semaine dans les rues de Jacmel à l’approche du carnaval national. Carnaval célébré cette année le dimanche 31 janvier – sept jours exactement, comme le veut la tradition, avant celui de la capitale.

Carnaval qui ailleurs au pays se déroule sous haute tension, vu le récent report des élections présidentielles, le mécontentement de la population envers les autorités et les manifestations, parfois violentes, qui secouent plusieurs régions d’Haïti.

Dans les rues de la vieille ville de Jacmel cependant, au cœur du quartier des artisans, les habitants accueillent les visiteurs avec le sourire, comme cette jeune femme, rencontrée rue Ste-Anne, mercredi matin…

Jeune femme, accompagnée de deux de ses quatre enfants, rue St-Anne, Jacmel, mercredi 27 janvier.

Jeune femme, accompagnée de deux de ses quatre enfants, rue Ste-Anne, à Jacmel, le mercredi 27 janvier.

Les artisans qui fabriquent dans leurs ateliers les masques et les figures en papier mâché, éléments essentiels du carnival de Jacmel, sont à l’ouvrage depuis plusieurs jours. Ils mettent, mercredi matin, la dernière touche à leurs créations…

Près de la rue du Commerce, dernières touches de peinture aux masques du carnaval, en papier mâché.

Près de la rue du Commerce à Jacmel, ultimes finitions de peinture aux masques en papier mâché.

En se promenant dans les rues de la vieille ville, on ne peut que constater, encore une fois, l’immense décalage qui existe entre ce qu’impriment et diffusent les médias, basés à Port-au-Prince, et la réalité qu’on observe tous les jours dans les villes de province comme Les Cayes ou Jacmel.

D’un côté, on entend, à la radio notamment, les propos incendiaires de députés ou de sénateurs qui, devant les micros à Port-au-Prince, s’agitent et parlent de « guerre civile » en Haïti.

De l’autre, on mesure, on admire la grande dignité des Haïtiens qui mènent en province, auprès de leurs familles, une existence calme et paisible. En affrontant au quotidien leurs défis, leurs épreuves, avec courage et détermination.

Avenue de la liberté, Jacmel, mercredi 28 janvier...

La grande Rue, à Jacmel, le mercredi 27 janvier. Jacmel a connu jadis son heure de gloire, grâce au commerce du café. Plusieurs anciens entrepôts existent toujours, aux alentours du bord de mer.

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Grand ciel bleu le dimanche 31 janvier, jour du carnaval!

La Fête va commencer!

L’artère principale de la ville, l’Avenue Barranquilla, est bondée! On a construit toute la semaine, le long du parcours du défilé, des échafaudages de fortune afin d’accueillir résidents et visiteurs. Des participants au défilé, costumés, retardataires, courent en riant rejoindre leurs groupes, rassemblés le long du bord de mer. Il est 11 heures. Le grand défilé du carnaval doit débuter à midi…

Jacmel, dimanche 31 janvier.

Quelques minutes avant le coup d’envoi du carnaval, à Jacmel, le dimanche 31 janvier 2016

Quelle incroyable célébration!

Pendant plus deux heures, nous avons eu le grand bonheur d’assister dans les rues de Jacmel à un spectacle prodigieux, ahurissant!

c1Un festival de danse et de musique… conjugué à un somptueux ballet aux couleurs tropicales.

La parade du carnaval se déroule dans une ambiance surchauffée de kermesse, de réjouissance, de liesse populaire, de fête indescriptible!

Fête portée par les rires, les cris, le rythme des tambours et le son assourdissant des trompettes…

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L’avenue Barranquilla, à Jacmel, le dimanche 31 janvier 2016

Voici, en quelques photos, le résumé d’une journée i-n-o-u-b-l-i-a-b-l-e!….

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Ambiance Ambiance dans les rues de Jacmel!

c2Le carnaval met en scène différentes figures du folklore de la culture haïtienne.

Les participants de certains groupes sont enduits de peinture...

Les participants de certains groupes sont enduits de peinture…

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Jacmel, dimanche 31 décembre

Jacmel, le dimanche 31 janvier

Des groupes communautaires profitent également de l’événement pour faire passer, en marge du cortège, des messages de sensibilisation reliés à la santé, au sida, au choléra.

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Défilé de l'hôpital Saint-Michel de Jacmel

Défilé de l’hôpital Saint-Michel de Jacmel

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Le carnaval s’est poursuivi une grande partie de la nuit dans les rues de Jacmel, à ma connaissance, sans incidents…

Marchande de Jacmel, Grande rue, dimanche 31 janvier

Marchande de Jacmel, Grande rue, le dimanche 31 janvier

Excursion jusqu’à Belle Anse

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Douze heures de route (a-r) en moto entre Jacmel et le village de Belle-Anse, sur la côte sud d’Haïti!

On m’avait depuis mon arrivée plusieurs fois mis en garde : la route jusqu’à Belle Anse, située à une soixante de kilomètres à l’est de Jacmel, n’est pas en bon état. « Prévoir, en moto, au minimum, deux heures… », m’avait-on dit. J’étais prévenu…

Une fois passées les plages de Jacmel, comme celle de Kabic, ci-dessus, le paysage, en allant vers l'est, change radicalement...

Une fois passées les plages de Jacmel, comme celle de Ti-mouillage, ci-dessus, le paysage, en allant vers l’est, change radicalement…

Je tenais quand même absolument à explorer la région et, têtu, je suis donc parti, le jeudi 28 janvier, accompagné d’un chauffeur recommandé par l’hôtel, en direction de Belle Anse, petit village posé sur la côte sud, à mi-chemin entre Jacmel et la frontière avec la République dominicaine…

Entre Marigot et Belle Anse, jeudi 28 janvier

Entre Marigot et Belle Anse, le jeudi 28 janvier

Mon chauffeur, Bernardin, la quarantaine, père de deux enfants, ancien militaire et grand amateur de "borlette", la loterie haïtienne...

Mon chauffeur, Bernardin, la quarantaine, père de deux enfants, ancien militaire et grand amateur de « borlette », la loterie haïtienne…

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Voyage épique!

Il nous a fallu presque douze heures – et trois crevaisons – pour rejoindre Belle-Anse et revenir à Jacmel, à la nuit tombée, fourbus, trempés, les vêtements pleins de boue…

À l'est du village de Marigot et, ci-dessous, première crevaison...

À l’est du village de Marigot et, ci-dessous, première crevaison…

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Quelle aventure!

Comme l’indiquent les cartes, après le village de Marigot, la route goudronnée disparaît et est remplacée par du gravier puis par un chemin de terre rouge qui monte lentement dans les mornes… À mesure que l’on progresse, vers l’est, première surprise : sur le chemin, nous rencontrons une jeune fille qui, en plus du créole, parle, comme seconde langue, non pas le français mais l’espagnol. C’est l’un des nombreux enfants, m’explique-t-on plus tard, issu de familles haïtiennes ayant longtemps vécu en République dominicaine… dont il sera question dans quelques instants.

Nous poursuivons notre route vers Belle Anse...

Nous poursuivons notre route vers Belle-Anse… en croisant des marchandes et, ci-dessous, des enfants sur le chemin de l’école…

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Deuxième constat, la route est dans un état lamentable, et Bernardin murmure quelque chose que j’ai souvent entendu pendant mon séjour ici: la comparaison entre Haïti et la République dominicaine. Pourquoi, me demande Bernardin, les Dominicains peuvent-ils, chez eux, construire des routes, bâtir des écoles, gérer leur pays d’une façon convenable, alors qu’en Haiti la situation ne s’améliore pas, ou si peu…

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Le chemin culmine parfois à plus de 1800 mètres d’altitude et nous traversons, dans le brouillard ou en plein soleil, des régions magnifiques où l’apparition d’un étranger en moto semble être toujours un sujet d’étonnement… La terre est fertile; on cultive ici des poireaux, du maïs, du riz, du chou, des carottes, des oignons, des pommes de terre… À quelques dizaines  de kilomètres, au nord-est, il y a des champs de café, près du village de Thiotte, à proximité du Parc National Forêt des Pins….

Arrivée à Belle Anse, sur la côte, à l'horizon...

Après cinq heures de route, destination enfin en vue, sur la côte, à l’horizon… Ci-dessous, le port et le petit village de Belle-Anse…

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C’est vraiment le bout du monde, Belle-Anse! L’unique hôtel du village est fermé, et je m’installe à la terrasse d’un petit café, au bord de la route, en attendant que Bernardin revienne avec une nouvelle chambre à air. Ah, le bonheur du voyage! Heureusement, les habitants sont ici très accueillants. Ils préparent, me disent-ils, une fête, pour le soir même, la Fête des Philosophes. Je suis invité. Je dois malheureusement décliner, nous devons absolument rentrer à Jacmel avant la tombée de la nuit. Pari perdu, mais nous aurons, sur la route du retour, deux nouvelles crevaisons!

"Impossible de ne pas souffrir" affiche la devise de ce bateau qui assure la navette entre Belle Anse et Anse-à-Pitres, à la frontière de la République dominicaine...

« Impossible de ne pas souffrir » affiche la devise de ce bateau qui assure la navette entre Belle-Anse et Anse-à-Pitres, à la frontière de la République dominicaine…

Je débute ce matin lundi la dernière étape de mon voyage : trois jours dans le village de Seguin, perché à près de 2000 mètres d’altitude au cœur du Parc National la Visite. Je serai logé à l’auberge du même nom. L’accès à l’internet sera limité ou inexistant. Retour prévu à Jacmel mercredi en fin d’après-midi, avant de prendre jeudi matin le bus pour Port-au-Prince, et l’avion vendredi matin pour Vancouver.

Dans le jardin de mon hôtel à Jacmel...

Dans le jardin de mon hôtel à Jacmel…

Cela a été une grande joie de revoir Haïti. Malgré le chaos qui règne parfois dans les rues, les incertitudes, les inégalités, les tensions sociales, voyager, sac à dos, de façon indépendante en Haïti, est une expérience incroyable, fabuleuse, qui laisse des traces – et pas seulement celles laissées par les moustiques!

Le pays m’appelle, et je reviendrai.

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Bord de mer, Jacmel, février 2016.

8 réflexions sur “Le carnaval de Jacmel

  1. Cher Voyageur Max,
    Je suis bouche-bée et éblouie par tes anecdotes ethnographiques et les photos prises dans ton pays natal. Bonne continuation, et sois prêt et préparé comme un scout!

    • Merci, P à V! Je suis arrivé ce matin, comme prévu, à Port-au-Prince, après deux heures trente de route depuis Jacmel. Je quitte Haïti demain avec regret mais, comme les scouts, je suis dès à présent prêt à y revenir!

  2. Allô Max,

    Même si je me rends à Jacmel 1-2 fois par an, je n’ai jamais eu l’occasion d’assister au Carnaval. Tu me donnes vraiment le gout d’y participer.

    Une de mes collègues a dû porter un collet cervical après un aller-retour en Jeep Jacmel à Belle-Anse dans la même journée. Je me rappelle avoir bien profité du paysage très varié durant le voyage. Le centre de santé de Belle-Anse est bien tenu et soutient de nombreuses activités communautaires.

    La conclusion de l’article est pleine de promesses pour un pays qui en a bien besoin: « Le pays m’appelle, et je reviendrai ».

    Safe travel.

    • Merci, Alix, je te souhaite vraiment d’assister un jour au carnaval de Jacmel, c’est un autre monde, féérique… Je verrai dans les prochains mois comment concrétiser l’idée d’un plus long séjour en Haïti, en province. Cela ne sera pas facile, il faut un plan, un projet, choisir une région. Je me laisse un peu de temps. J’ai souvent pensé à toi, sur la route de Belle Anse, lorsque nous croisions des véhicules des services de santé. J’espère que ta collègue s’est bien remise.

  3. Encore un récit intéressant et de belles photos colorées du carnaval. Je n’ai aperçu qu’un seul touriste – canadien semble-t-il, si j’en juge par les drapeaux sur son sac à dos – parmi les spectateurs dans les rues de Jacmel … j’imagine que les rares touristes présents ont donc la chance d’assister à des festivités vraiment authentiques.
    Quelle épopée que ce voyage à Belle Anse, tu n’es pas prêt de l’oublier! J’espère que la moto avait de bonnes suspensions et que tu n’es pas trop courbaturé ! La devise vue sur le bateau « Kapab pa soufri » semble avoir été prémonitoire …
    Protège-toi autant que possible contre les moustiques, surtout ceux qui ont un Z gravé sur le dos … La présence du virus Zika a déjà été signalée dans la région et progresse rapidement.
    Bonne fin de voyage et bon retour!

    • Merci, Annie, tu as comme d’habitude très bien « lu » les photos qui accompagnent l’article. Il y avait en effet très peu de touristes occidentaux lors du carnaval de Jacmel. J’ai dû en compter une douzaine, ce qui est très peu, apparemment, par rapport aux années précédentes. La situation instable au pays y est pour beaucoup. Pour ce qui est du virus Zika, les radios en parlent beaucoup, en créole. Je fais attention, bien sûr, mais les chambres d’hôtel ici n’ont pas (comme en Asie ou en Afrique) de moustiquaires, et plusieurs petites bêtes intéressantes (dont quelques moustiques) arrivent régulièrement à se faufiler entre les mailles des grillages posées aux fenêtres…

    • Merci, Ian, j’aimerais bien sûr revenir, mais pas en simple touriste cette fois… Résider pendant plusieurs mois en Haïti n’est pas facile. On verra dans un an ou deux. Bon retour à toi aussi en Colombie-Britannique! À dans quelques jours à Vancouver.

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