Notes de lecture

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Phénomène inhabituel, Vancouver a connu cette année un rude hiver avec de fréquentes et abondantes chutes de neige. Ci-haut, notre rue, dans le quartier Mount Pleasant, fin décembre.

Quoi de mieux en temps de pandémie que d’aller fureter et piocher dans les bibliothèques de beaux et grands livres qui nous rapprochent de la lumière à venir du printemps?

En voici cinq. Cinq titres qui m’ont particulièrement plu récemment, présentés ici dans l’ordre dans lequel je les ai découverts.

Pierre Nora, Jeunesse – (Paris, 2021)

Lpierre noraes mémoires de jeunesse d’un grand intellectuel. Élevé à Paris, dans « le confort douillet » d’une famille bourgeoise, juive, Pierre Nora, historien et directeur de collection chez Julliard et Gallimard, a été le témoin attentif d’un siècle qu’il a traversé aux côtés de personnages illustres. Grâce à son frère aîné Simon, haut-fonctionnaire, il côtoie, très jeune, Pierre Mendès France, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud, Jean Daniel. Après quelques échecs (il échoue trois fois au concours d’entrée à l’École Normale), Pierre Nora déploie ses ailes.

Il obtient une licence en philosophie puis est reçu à l’agrégation d’histoire. Il fonde plus tard et anime pendant 40 ans la revue « Le Débat ». Il est élu à l’Académie française. Le livre, écrit « au galop », fourmille d’anecdotes sur la vie intellectuelle de l’époque. On y retrouve de multiples portraits et des réflexions, profondes, sur la famille, la religion. Au fil des pages, Pierre Nora revient sur les événements marquants de sa jeunesse, sur la période de la guerre notamment, qu’il a vécue en partie caché avec sa famille, recherchée par la Gestapo. Certains chapitres sont très personnels, comme le récit de ses relations amoureuses. Pierre Nora est aujourd’hui, à 90 ans, le compagnon de la journaliste Anne Sinclair.

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East 7th Avenue, dans le quartier Mount Pleasant, à Vancouver, fin décembre 2021.

Dominique AngladeCe Québec qui m’habite – (Montréal, 2021)

angladeL’autobiographie d’une femme talentueuse, ambitieuse… et pressée! Née au Québec de parents d’origine haïtienne, Dominique Anglade est, depuis mai 2020, à la tête du Parti libéral du Québec (PLQ). La première femme noire à accéder à une si haute fonction politique au Québec. Mme Anglade retrace ici son parcours, parcours atypique, forgé par les valeurs et les convictions de ses parents, Georges, géographe, et Mireille, enseignante, tous les deux engagés à gauche et morts tragiquement lors du tremblement de terre en Haïti en 2010.

Après des études à l’École Polytechnique et à HEC à Montréal, Dominique Anglade se voit confier en Ontario puis à Montréal une série de postes de plus en plus importants en gestion. Côté cœur, invitée par une amie en octobre 1998 à passer quelques jours à Vancouver, elle y rencontre, lors d’une fête de l’Halloween près de UBC, l’homme qui deviendra en 2004 son mari: Helge, citoyen allemand, qui étudie, à ce moment-là, la physique à UBC.

Quelques années plus tard, jeune maman, Dominique Anglade passera auprès de son mari trois ans à Vancouver – « une ville simple, gentille, sans complexe… mais plate (ennuyeuse) » écrit-elle – avant de retourner avec sa famille au Québec où elle amorce, à partir de 2011, avec la CAQ (Coalition Avenir Québec) puis avec le PLQ une fulgurante ascension politique.

Élue députée puis nommée vice-première ministre et ministre de l’Économie sous le gouvernement libéral (2014-2018), Dominique Anglade dirige maintenant l’opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec.

Le livre est passionnant et se lit comme un roman. L’ouvrage fait référence à plusieurs lieux et thèmes qui me sont familiers: son lien avec Haïti, son attachement à Montréal et au Québec, son séjour à Vancouver, sa pratique du squash, l’école Marie de France, dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal.

Entre les lignes, pointent la détermination et la volonté de réussir de Dominique Anglade. Pointent aussi sa force et son courage alors que, « quatre fois minoritaire – par la langue, le sexe, l’âge et l’origine ethnique », elle se taille une place dans le monde des affaires puis fait carrière en politique, dans un milieu souvent brutal et misogyne.

À quelques mois des élections provinciales au Québec, prévues en octobre, Dominique Anglade réussira-t-elle à déjouer les pronostics et les sondages? Le livre terminé, on a presque envie d’aller, de courir prendre sa carte d’adhésion au PLQ! C’est là, sans doute, l’un des buts de l’exercice.

31 Jan 2022

Les premiers signes du printemps ont fait leur apparition à Vancouver à la fin du mois de janvier. Ci-dessus, la plage Kitsilano…

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… où on peut, au choix, le 31 janvier, jouer au volley-ball sur la plage ou se promener en short, près de l’océan…

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Célébration de la Nouvelle Année chinoise. Le 1er février débute l’Année du Tigre. Photo et carte conçues par Diana.

Daniel KleinTravels with Epicurus – (2012)

DKleinUn petit livre magnifique, plein de sagesse, sur l’art de vieillir, sereinement. Daniel Klein, diplômé en philosophie de l’université Harvard part seul, pendant un mois, à l’âge de 73 ans, sur l’île de Hydra, en Grèce. Objectif: faire le point sur sa vie et sur « le grand âge » à la lumière des textes et de l’enseignement des anciens. Il a dans sa petite chambre modeste du village de Kamini une valise pleine de livres. Épicure, Platon, Sénèque, Marc-Aurèle. Mais aussi Sartre, Camus, Bertrand Russell, des textes venus de l’Inde. Que disent ces penseurs sur la vieillesse? Quel est leur message? Comment vivre au mieux ces années si complexes? J’ai dévoré en quelques jours cet essai lumineux, lu en anglais, dans sa version originale. Le livre est aussi disponible en français. Un super petit bouquin, un bijou. À lire absolument!

2 janvier 2022

Lectures d’hiver

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Quel plaisir ce mois-ci de revoir mon ami Ian à Vancouver! Basé à Hambourg avec sa famille, Ian passera les deux prochains mois en Colombie-Britannique…

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Première longue randonnée en vélo, le dimanche 13 février

Caroline DawsonLà où je me terre – (Montréal, 2020)

LàOuJeMeTerreUn récit bouleversant qui connaît au Québec, depuis sa sortie, un succès retentissant et bien mérité. L’histoire vécue d’une petite fille (Caroline, l’auteur) arrachée à sept ans à son pays d’origine, le Chili, et contrainte de suivre en exil ses parents qui fuient la dictature de Pinochet.

La famille obtient au Canada le statut de réfugié et débarque à Montréal en plein hiver, en janvier 1987. Commence alors pour Caroline et les siens le long et douloureux apprentissage de « l’intégration ».

Apprendre au Québec une nouvelle langue. Apprivoiser à l’école, dans les classes d’accueil puis dans le programme régulier, de nouveaux codes. Se construire à Montréal une nouvelle façon d’être, de vivre. Le parcours est semé d’embûches, d’incertitudes.

La famille (3 enfants) déménage souvent. D’Ahuntsic à Hochelaga-Maisonneuve à Brossard, chaque nouveau quartier apporte son lot de surprises et de découvertes que Caroline partage avec force détails, dans une langue savoureuse, parfois crue, mêlée de joual.

Pendant que ses parents, Natalia et Alfredo (ex professeur d’anglais au Chili), font des ménages pour nourrir la famille, Caroline observe, s’applique et réussit peu à peu à trouver sa place dans une société québécoise qu’elle dissèque, de chapitre en chapitre, comme une anthropologue.

Grâce à son intelligence, au soutien de ses parents, à la lecture, Caroline réussit son pari: « devenir un super modèle d’intégration » au Québec. Elle étudie la sociologie et devient professeur au Cegep (l’équivalent du lycée). Une belle revanche et une récompense pour celle qui a tant vu souffrir ses parents.

Un récit remarquable. À mettre entre toutes les mains de ceux et celles qui arrivent, d’ailleurs, pleins d’espoir, au Québec et au Canada.

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Un groupe de kayakeurs explore le littoral près du parc Vanier, à Vancouver, dimanche 13 février.

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Un peu plus tôt, le même jour, le long de la promenade (the seawall) du bord de mer…

Sylvain Tesson – Sur les chemins noirs – (Paris, 2016)

chemins noirsUn livre de chevet pour les marcheurs. Une pépite. Après une lourde chute et quatre mois passés à l’hôpital, Sylvain Tesson nous offre le carnet de voyage d’une randonnée épique entre le Mercantour (extrême sud-est de la France) et le Cotentin (nord de la Normandie). Deux mois et demi de marche. Un périple effectué presqu’exclusivement sur « les chemins noirs », un réseau d’anciens sentiers et de chemins ruraux, désaffectés, mais toujours répertoriés sur les cartes IGN.

Objectif de l’écrivain voyageur: traverser le pays à pied (jusqu’à 40 kms par jour) en évitant les villes, les banlieues, les ronds-points, afin de retrouver et célébrer une ruralité française aujourd’hui oubliée.

Tesson part seul. Passe la plupart de ses nuits dehors, sous les arbres ou sous une tente. Quelques amis le rejoignent parfois et l’accompagnent, quelques jours, sur la route.

Cette longue randonnée, au coeur de la France « hyper rurale », est le fruit d’un serment conclu après sa chute. « Corseté dans mon lit d’hôpital, écrit-il, je m’étais dit que j’avais passé vingt ans à courir le monde entre Oulan-Bator et Valparaiso… Si je m’en sortais, il était temps que je traverse la France à piedIl y avait encore une géographie de traverse pour peu qu’on lise les cartes… Une France ombreuse, protégée du vacarme, épargnée par « l’aménagement » du territoire… Je voulais m’en aller par les chemins cachés, campagnards, ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides »…

Pari tenu. Parti du Mercantour à la fin du mois d’août, Sylvain Tesson termine son périple dans le Cotentin, début novembre. Le livre est magistralement écrit. C’est l’oeuvre d’un virtuose. Et ce texte accroît encore mon envie de terminer cet été (si la situation sanitaire le permet) ma route sur le chemin de Compostelle.

À noter: Sylvain Tesson a aussi animé l’excellente série « Un été avec Rimbaud », série diffusée il y a deux ans, sur France Inter. Une quarantaine de courtes et précieuses capsules radio (3-4 minutes chacune) sur « l’homme aux semelles de vent ». Un régal pour l’oreille. À retrouver ici.

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Repas éthiopien (lentilles, choux, épinards, purée de pois, boeuf) accompagné de injera. Restaurant Axum, East Hastings St, Vancouver. Photo: Ian.

Bonnes lectures et bonne fin d’hiver à tous!

SVP, n’hésitez pas à partager vous aussi vos coups de coeur!

Prenez soin de vous et de vos proches.

Le printemps, officiellement, sera avec nous dans 32 jours.

20 février 2022

Brockton Point, Vancouver, le dimanche 20 février 2022

21 février 2022

Randonnée le long de la rivière Fraser avec mes amis Florence et Ian, dans le quartier Southlands, à Vancouver, le lundi 21 février. Nous nous connaissons depuis plus de trente ans.

12 réflexions sur “Notes de lecture

  1. Oui, vraiment, rien de mieux, cher Max , que de nous faire partager tes lectures d’hiver!
    Tous les livres sont attirants! Le seul auteur que je connaisse et apprécie beaucoup est Sylvain Tesson; Il a aussi fait un programme de voyage philosophique , accessible, je pense sur ARTE Replay, sur l’Odyssée, « Sur les traces d’Ulysse » , qui est remarquable; c’est aussi un livre; tout dernièrement, j’ai également vu un documentaire tourné en collaboration avec un grand photographe animalier, Vincent Munier, « La Panthère des neiges » ; Superbe!!
    Merci Max pour toutes ces pistes de bonheur , inspiration et de réflexion!

    • Merci à toi Christiane de partager si gentiment tes séduisantes recommandations! Je vais sans faute aller voir/lire ces deux oeuvres de Sylvain Tesson, un auteur qui, semble-t-il, ne laisse personne indifférent. Bonne fin d’hiver et bonnes randonnées, Christiane! Au grand plaisir de te revoir cet été j’espère dans le sud-ouest! Amitiés

    • Merci, Josiane! Pour info, tu peux facilement te procurer la plupart de ces livres à la bibliothèque Koerner de UBC. Nous avons tellement de chance d’avoir accès aux trésors de cette grande bibliothèque! J’espère que tu vas bien, Josiane! À quand notre prochaine promenade?

  2. Merci pour ces suggestions de lecture, Max. Certaines me semblent intéressantes. J’essaierai de me procurer quelques-uns de ces livres plus tard. Bonne fin de semaine,

    Annie

    Envoyé à partir de Courrier pour Windows

  3. Cher Max

    Bernard Pivot fait piètre figure en tant que critique littéraire. C’est tout à fait fascinant de lire tes commentaires sur un ensemble si varié de livres, entremêlés de photos de tes activités pendant la pandémie. Merci !

    • Merci Marie-Hélène! Je te recommande particulièrement « Là où je me terre » de Caroline Dawson. Le récit de son installation à Montréal avec sa famille m’a pas mal secoué. Il y a aussi un autre titre dont je parlerai la prochaine fois: « La vie sans fards » (2012) de Maryse Condé, je sais que tu apprécies beaucoup cet auteur. Elle a vraiment eu une vie rocambolesque, incroyable.

  4. Wesh Max.

    While the pandemic has constrained your world travels, you have turned it into an opportunity for neighbourhood explorations and armchair travelling into the authors’ varied lives. The books share the themes of resilience, coming of age, diaspora and migration – resonate with your own life experience, n’est-ce pas?

    Spring is almost here et tu es au taquet! Yalla!

    • Thank you so much, La China. Yes, good books have allowed us to travel even with borders closed. And we are in Vancouver so fortunate to be able to travel through food as well – thanks to the wonderful global cuisine available here. See you soon at Kingsway & Clark to sample and share with Diana plates of spicy and delicious South Indian dosas!…

  5. Merci Max de nous donner la possibilité de voir tes coups de coeur en matière de lecture. Voici un livre que j’aimerais partager:

    Bakhita de Véronique Olmi.
    L’histoire vraie, fascinante, de Joséphine Bakhita, esclave au Soudan à la fin du 19e siècle. Elle devient sœur canossienne en Italie, près de Venise, après avoir été libérée de son statut d’esclave et baptisée catholique. Ce qu’il y a de plus frappant dans cette histoire, c’est à la fois l’humilité, la force et la grandeur d’âme de cette femme. Elle a vécu 76 ans jusqu’en 1943. Elle fut canonisée par Jean Paul II en 2000. L’auteur y explique aussi l’attitude des Italiens face à cette femme africaine, la peur qu’elle déclenchait suivi d’une forme d’adoration.

    • Merci beaucoup Florence de partager cette histoire extraordinaire que peu de gens connaissent, sans doute. Quel destin incroyable a eu cette femme! Je viens de faire une petite recherche sur Véronique Olmi, un auteur que je ne connaissais pas, et je me trompais sur le roman. « Bakhita » était en lice (en 2017) pour le prix Goncourt et le prix Femina. Merci, Florence!

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