Troisième voyage en Haïti en un peu plus de cinq ans.
Après un premier séjour, en juillet 2010, dans la région de Port-au-Prince, du Parc La Visite, et de Jacmel, et un second voyage, en mars 2011, dans le département de la Grande Anse, à Jérémie et aux Abricots, me voici cette fois-ci dans le grand sud du pays, avec un objectif bien précis: explorer, à partir de la ville des Cayes, la région où je suis né, il y a bientôt soixante ans.

Ce n’est pas facile de voyager en Haïti, surtout sans véhicule privé. Comme d’habitude, avant mon arrivée à l’aéroport de Port-au-Prince, le 12 janvier, tous mes déplacements ont été soigneusement planifiés, confirmés avec mes hôtes et interlocuteurs.


Premières impressions de voyage?

D’après ce que j’ai pu voir en une petite semaine, le pays semble avancer – mais au ralenti.
Dans certains domaines, comme la construction ou le transport, il semble y avoir de réels progrès. Les chantiers pullulent le long des routes et au cœur des villes que j’ai traversées. On reconstruit après le tremblement de terre survenu en janvier.
Le développement du transport routier des passagers est lui aussi en plein essor. De nombreuses compagnies privées – Transport Chic, Le Voyageur, Grand Sud – ont vu le jour. Leurs véhicules sillonnent le pays en transportant les passagers dans des fourgonnettes ou des minibus confortables et climatisés. 500 gourdes (environ 9$ ou 7 euros) pour le prix d’un trajet entre Port-au-Prince et les Cayes.

D’un autre côté, sur plusieurs fronts, Haïti semble reculer.
L’insécurité, partout, se répand. Il y a tous les mois, en moyenne, cinquante morts par balles dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. La plupart de ces attentats sont reliés au trafic de la drogue ou à des règlements de comptes entre groupes rivaux. Les particuliers ne sont pas épargnés. Dans les rues de la capitale, l’atmosphère est tendue.

Le processus électoral est aussi déficient. Le second tour des élections présidentielles, prévu pour le 27 décembre, a été reporté plusieurs fois, et le vote est maintenant annoncé pour dimanche prochain, le 24 janvier. Chaque jour amène son lot de nouvelles rumeurs, les radios s’emballent, et nul ne sait comment vont se dérouler ces élections, si élections il y a…

Après une nuit passée à Port-au-Prince, arrivée dans la ville des Cayes le mercredi 13 janvier, après un voyage mouvementé.
Notre bus, comme des dizaines d’autres, a été bloqué sur la route nationale, au sud de la ville de Miragoâne (voir la carte plus haut), vers 11 heures du matin, à la hauteur du village de Chalon.
Une soixantaine de manifestants protestaient contre la nomination d’un commissaire de police récemment affecté dans la région. Deux ou trois voitures de police sont arrivées. Les manifestants leur ont lancé des pierres et ont maintenu leur barrage. Notre chauffeur a prudemment mis notre bus à l’abri, dans un petit chemin.
La confrontation a duré une heure environ avant que les manifestants ouvrent de nouveau la Nationale 2 à la circulation.

Il n’est pas facile de se déplacer à pied aux Cayes.
La ville est beaucoup plus étendue que je ne me l’imaginais et, en plus de la chaleur, la circulation – motos, voitures, camions de transport et de passagers, tap-taps – est intense…




Sur les conseils de la réception de l’hôtel, j’ai donc très vite embauché un chauffeur de moto, Dorléans, fiable et ponctuel, qui travaille à l’hôtel Méridien des Cayes… depuis vingt-cinq ans.

Je voulais dès mon arrivée dans la ville essayer de retrouver la maison, avenue des Gabions, où je suis né. Défi supplémentaire: mon acte de naissance, estampillé, en novembre 1956, à la mairie des Cayes, ne fait malheureusement aucune mention du numéro de la maison.
Comment faire, après toutes ces années?
Oncles, tantes, cousins et cousines ont depuis longtemps quitté les Cayes, et nous n’avons plus de famille ici.


J’ai eu la bonne idée de commencer mes recherches à l’hôtel Concorde, situé avenue des Gabions justement, l’hôtel Concorde où je voulais loger initialement mais qui n’avait jamais répondu à mes nombreux messages. Je voulais en avoir le cœur net, et savoir pourquoi.

Quelle surprise en arrivant à l’hôtel, jeudi matin, de rencontrer la propriétaire – Madame Michele Condé Delbeau – qui me dévisage longuement, et me demande mon nom.
« Oh, dit-elle, vous êtes le fils de Scherer, j’ai très bien connu votre père, il était notre médecin de famille, j’ai aussi connu votre mère »
Nous avons parlé, chaleureusement, une vingtaine de minutes. Elle n’a pas voulu se faire photographier.
Madame Condé Delbeau m’apprend que la maison avenue des Gabions où habitait notre famille, à deux pas de l’hôtel, a été rasée. Sur le terrain trône maintenant… un petit hôpital, un dispensaire plutôt, spécialisé dans les problèmes de la vue.

En prenant congé, madame Condé Delbeau me donne une foule de détails sur la vie de nos parents, elle se souvient du cabinet médical de notre père, situé près de la cathédrale, elle se souvient même, enfant, de notre grand-père, Emmanuel, et de notre grand-mère, qui partageait le même nom de jeune fille (Hall) que sa meilleure amie.

Seconde étape de mon pèlerinage aux Cayes: l’hôpital général de la ville où travaillait jadis notre père en tant qu’administrateur et médecin gynécologue.

Beaucoup d’émotion en rentrant dans l’enceinte de l’hôpital, propre et bien tenu… C’est ici qu’a débuté la remarquable carrière de notre père, avant son départ, au début des années 60, pour l’Afrique…
En compagnie de Dorléans, j’ai passé les deux jours suivants à arpenter et explorer, en moto, le sud du pays. Nous avons dû faire près de 200 kilomètres, à l’intérieur des terres entre les Cayes et Camp-Perrin, et le long de la côte entre les Cayes, Torbeck, Port-Salut, et jusqu’à Roche-à-Bateau, sur la route de Port-à-Piment.




La journée de samedi a été particulièrement réussie… avec une longue balade jusqu’aux plages de Port-Salut…


Nous sommes loin ici de la tension qui règne dans les rues de Port-au-Prince. La vie est douce et tranquille sur la côte sud… avec, en prime, chaque jour, au retour à l’hôtel, la merveilleuse cuisine haïtienne…


… servie avec le sourire par le personnel adorable de l’hôtel…
Petite leçon de créole avant de terminer? Comprenez-vous l’information écrite sur cette affiche?

Départ ce matin en bateau, comme prévu, pour l’Île-à-Vache… J’y passerai une grande partie de la semaine, avant mon retour aux Cayes, samedi après-midi.
Bon mois de janvier, et bon début d’année à tous!
Courage à ceux et celles qui habitent la région de Montréal… il ne reste que quelques mois avant l’arrivée du printemps…





