En Pays catalan

Dans le département des Pyrénées-Orientales, l’abbaye de Saint-Martin du Canigou, perchée au-dessus du village de Casteil, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Prades, mardi 8 août.

Après le merveilleux été passé, il y a deux ans, dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port, au Pays basque, quel bonheur de retrouver la belle lumière des Pyrénées dans la petite ville de Prades, située à une heure de train environ à l’ouest de Perpignan.

Prades, ancienne ville fortifiée, fondée au 9è siècle. La ville a accueilli en 1939 et 1940 des milliers de réfugiés espagnols et italiens fuyant les régimes fascistes de Franco et Mussolini. Prades abrite aujourd’hui un centre universitaire de recherche et d’enseignement, dédié à la langue et la culture catalanes
Le département des Pyrénées-Orientales. Au centre, Prades, où nous nous sommes installés du 6 au 13 août…

Nous sommes cette fois en Pays catalan.

Dans les rues, sur les marchés ou aux comptoirs des cafés, l’accent est différent de celui de Montpellier ou de Béziers.

Sur les sentiers qui sillonnent l’arrière-pays du Conflent, autour de Prades, et qu’empruntent les nombreux visiteurs, venus d’Espagne, le catalan est présent, presque partout.

Quelques exemples?

Bonjour = « Bon dia », bonsoir = « bona tarde », bonne nuit = « bona nit ».

Comment vous appelez-vous? = « Com es diu? »

Je ne comprends pas, pourriez-vous répéter SVP? = « No ho entenc. M’ho pot repetir si us plau? »

Deux ou trois rencontres à notre arrivée ont suffi à confirmer que nous ne sommes plus ici dans le midi de Sète ou de Marseille, dans le midi de Pagnol ou de Daudet, mais dans un pays culturellement bien différent: la Catalogne française.

La Principauté de Catalogne avant son annexion à la Couronne de France, en 1659.

Comme le montre la carte à gauche, la région autour de Perpignan (Perpinyà en catalan) et de Prades (Prada) a longtemps appartenu à un gouvernement de langue et de culture catalanes.

Et aujourd’hui encore, des deux côtés de la frontière, les Catalans revendiquent leur autonomie.

Côté espagnol, après un premier référendum perdu l’an dernier, une seconde consultation sur l’indépendance du territoire catalan est prévue le 1er octobre.

Drapeau indépendantiste catalan
L’Estrelada, le drapeau indépendantiste catalan

Côté français, les partisans de la Catalogne du Nord ne renoncent pas à leur rêve de vivre, un jour, dans une région autonome.

Plusieurs radios diffusent ici des programmes culturels et d’informations en catalan. L’apprentissage du catalan est, depuis 1993, une option pour les étudiants dans certains établissements scolaires des Pyrénées-Orientales. Et le nom des rues, des édifices est, dans la région, systématiquement affiché dans les deux langues.

Ces mesures suffiront-t-elles à faire progresser les velléités d’indépendance ou d’autonomie?

À l’extérieur de Prades, une partie du massif du Canigou dont la présence est célébrée dans la culture catalane.

Après la magnifique journée passée en vélo le long du canal du midi, nous avons eu le grand plaisir de retrouver comme prévu, le mardi 8 août, sur le marché de Prades, nos amis Annie et Stephen, venus de Perpignan…

Le grand marché du mardi de Prades. Un second marché a lieu le samedi matin.
Les producteurs de la région du Conflent viennent chaque semaine proposer leurs produits, Place de la République… Ces jours-là, même les boulangeries de la ville sont en fête…

L’accueil toujours souriant de la boulangerie Justinette, rue Jean Jaures, à Prades.

Une fois les courses terminées – au milieu de joyeuses conversations – nous avons partagé, dans le jardin de la petite maison que nous occupons pour la semaine, un beau pique-nique champêtre, composé en partie de spécialités catalanes…

Dans le jardin de notre petite maison, rue du Palais de Justice, à Prades, le mardi 8 août.
La fougasse, une brioche catalane à la crème ornée ici d’abricots. Merci Annie et Stephen!
Le fouet paysan, un saucisson sec, prisé dans les Pyrénées-Orientales

C’est aussi sur les conseils de nos amis que nous sommes partis le lendemain en randonnée sur la voie catalane des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle

… en direction du petit village de Codelet où est située l’abbaye bénédictine de Saint-Michel de Cuxa – « lieu de prière, de travail, d’art » – qui accueille depuis le 9è siècle visiteurs et pèlerins.

Sur le chemin qui mène à l’abbaye, des champs impeccablement cultivés où poussent au soleil pêches, pommes, poires, cerises et mûres. Le paysage est magnifique!

L’abbaye bénédictine de Saint-Michel de Cuxa dont la construction a débuté au 9è siècle

Après la messe quotidienne célébrée à midi, nous avons pu brièvement converser avec les moines de l’abbaye, en route pour leur déjeuner, et revêtus, simplement, de leurs habits de travail.

En tenue de travail après avoir célébré la messe, les deux moines de l’abbaye Saint-Michel de Cuxa en conversation avec Diana. Le premier, à gauche, est originaire de la région de Milan. Le second, à droite, le vin de la messe encore à la main, a grandi en Alsace. Ils vivent et oeuvrent tous les deux à l’abbaye depuis plus de quarante ans.

Ils ne sont plus que deux à vivre dans l’abbaye.

Mis à part le service d’accueil et la boutique de souvenirs, les moines s’occupent de tout: des jardins, du potager, de la vigne qui pousse sur le terrain. Ils préparent leur nourriture, célèbrent les messes, ils tondent même le gazon!…

Après plus de quarante ans au service de la communauté, qui prendra leur place ensuite?…

À environ une heure de marche de Prades, sur le chemin de l’abbaye Saint-Michel de Cuxa…

Cela passe vite, trop vite, une semaine à Prades!

Le petit train jaune au départ de la gare de Villefranche-Vernet-les-Bains, le vendredi 11 août

Une des attractions incontournables de la région est sans aucun doute le petit train jaune qui relie plusieurs fois par semaine, depuis 1903, au coeur des Pyrénées, la petite ville de Villefranche de Conflet au village de Latour de Carol. Village situé à proximité de Font Romeu où s’acclimatent et s’entraînent depuis de longues années les athlètes français de haut niveau.

Pendant la saison estivale cependant, trouver une place à bord du train jaune n’est pas toujours facile! Il est préférable de prendre à la gare de Villefranche le train de 9 heures plutôt que celui de 10 heures, souvent bondé.

À quelques kilomètres de la frontière espagnole, le petit train jaune poursuit dans les Pyrénées son ascension vers des villages de haute montagne, comme Mont Louis ou La Cabanasse, qui ont longtemps été inaccessibles par la route…

À une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Prades, le petit village de La Cabanasse, à l’horizon, au pied des Pyrénées, vu du village de Mont Louis, le vendredi 11 août

C’est presque déjà le moment de quitter Prades!…

Avant de partir, nous avons eu la chance d’assister à un dernier événement, « Le concert des étudiants » présenté dans le cadre du festival Pablo Casals – festival qui réunit pendant deux semaines, tous les étés, des musiciens du monde entier…

Composition de Mozart (2è mouvement, quintette K581) interprétée par cinq jeunes musiciens venus du Japon, du Royaume-Uni, de la France et d’Israël, rassemblés le samedi 12 août à l’église St-Pierre de Prades

Départ tôt, le dimanche 13 août en direction de Toulouse où nous attend notre amie Christiane, avec qui j’ai eu la chance de travailler comme coopérant, entre 2012 et 2013, au Rwanda.

Accueil extrêmement chaleureux dans son domicile du quartier de La Terrasse où résident également, pour quelques jours, deux autres amis, originaires du Danemark et du Japon.

Autour de la belle table dressée tous les soirs, rires, souvenirs de voyage et un somptueux buffet préparé par les fées de la maison…

Beaux moments de rencontres et de partage, dimanche 13 août, chez notre amie Christiane (à droite)

Grâce à l’impeccable logistique de Christiane, nous avons aussi eu la chance d’effectuer, le jour de notre arrivée, une très intéressante visite guidée des principaux monuments et quartiers de Toulouse qu’on appelle « la ville rose ». En raison de la couleur particulière des bâtiments construits, à l’origine, d’argile et de briques romaines qui, une fois cuits, prenaient une teinte rosâtre…

Aperçu du quartier Saint-Étienne à Toulouse, dimanche 13 août. Après Paris, Marseille et Lyon, Toulouse est aujourd’hui, par sa population, devenue la 4è ville de France….

Difficile de réaliser que mon périple de trois mois en Italie et en France se termine déjà!…

Sentier sur l’île de Salina, dans les îles éoliennes, au large de la Sicile, en juin 2017.

Le temps est passé si vite! Et tant de choses vont nous manquer en France!

Un exemple parmi d’autres?

Le code exquis de la politesse et du savoir-vivre requis dans les échanges quotidiens, dans les boutiques, les magasins, les boulangeries, les marchés…

Ce qui, dans la conversation, donne à peu près ceci: « Bonjour Monsieur, bonjour Madame… Vous désirez?… Et avec ceci?… Ça sera tout?… Merci, et au-revoir, monsieur, au-revoir, madame… Bonne journée!… À vous aussi!… Au-revoir« .

Imagine-t-on le même rituel, répété plusieurs fois par jour, dans les grandes villes d’Amérique du Nord?

Avant de reprendre avec Diana cet après-midi l’avion pour Vancouver, je tiens à remercier tous ceux et celles croisés sur la route depuis mon départ du Canada, le 23 mai.

Je tiens en particulier à remercier:

Mon frère Alix compagnon de voyage généreux, attentionné et prudent lors de nos deux semaines de randonnées et de découvertes en Sicile. Merci Alix!

Notre amie Josiane à Vancouver qui, la première, il y a bien longtemps, nous a mis la puce à l’oreille et éveillé notre curiosité à propos de la ville Sète. Qu’elle en soit remerciée! Merci, Josiane!

Merci également à Annie et Stephen de nous avoir si amicalement guidés dans ces grandes et belles journées d’exploration dans ces régions magnifiques du sud-ouest de la France.

Marianne, perdue de vue depuis notre année de travail commun au Vietnam, il y a vingt ans. Marianne, venue si gentiment de Bruxelles passer quelques jours de vacances avec nous, à Sète.

Merci à Monsieur et Madame Ouaki qui par leur bienveillance et leur chaleureuse présence ont illuminé notre séjour à Sète.

Merci à Agnès dont la gentillesse et la prévenance à Prades, nous ont beaucoup touchés. Merci d’avoir mis à notre disposition la maison et le merveilleux jardin du « Merle du Matin ».

Merci enfin infiniment à Christiane qui nous a si généreusement accueilli chez elle à Toulouse et nous a offert son amitié.

Dans le quartier de La Plaine, à Toulouse, lundi 14 août

La poudrière rwandaise…

La route entre Musanze (Ruhengeri) et Muhanga, dans le nord-ouest du Rwanda, en juin 2013.

Mon contrat de travail au Rwanda ayant officiellement pris fin, je ne suis plus désormais astreint au « devoir de réserve » auquel doivent se plier les coopérants en poste au Pays des mille collines.

Ce devoir de réserve est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on rappelle aux travailleurs étrangers lorsqu’ils arrivent à Kigali. « SVP, faites attention à ce que vous dites en public, ou à ce que vous écrivez sur le Rwanda! » nous répète-t-on inlassablement lors des réunions d’orientation.

Toute vérité n’est pas bonne à dire au pays de l’oncle Paul…

Carte et topographie des principales villes du Rwanda. Encerclée en rouge, dans la province de l’est, Nyagatare, la ville où j’ai passé onze mois en 2012-2013 comme coopérant bénévole pour l’ONG canadienne CUSO/SUCO, en partenariat avec VSO.
26 juillet 2013 Kigali
Réunion de fin de contrat, à Kigali, le 25 juillet 2013, en compagnie de Ruth Mbabazi, responsable à VSO Rwanda des programmes en éducation et, ci-dessous…
n25 juillet 2013
…photo de fin de contrat devant le bureau du district de Nyagatare avec une responsable du programme de VSO/CUSO au Rwanda, le 26 juillet 2013. Pari tenu. Mission terminée!
Nyagatare, Rwanda
Un des nombreux sentiers menant à Nyagatare, en juillet 2013

Au cours des onze derniers mois, j’ai essayé scrupuleusement de respecter cet engagement.

Dans le blog précédent, Voyage au pays des mille collines, mes observations et commentaires sur le Rwanda ont été largement positifs et élogieux.

Et avec raison, puisqu’il y a tant de choses à louer et à admirer au Rwanda! L’accès aux soins de santé et à l’éducation, la propreté dans l’espace public, le succès des travaux communautaires, la paix surtout, retrouvée après tant d’années de conflits…

Le pays, comme je l’ai souvent souligné, est devenu, depuis six ou sept ans, la coqueluche des médias internationaux. Partout, le Rwanda est cité en exemple, montré du doigt comme le symbole de l’Afrique qui avance, qui progresse, qui réussit.

La réalité cependant n’est pas aussi simple.

Rusizi, au bord du lac Kivu, avril 2013
Sur les rives du lac Kivu, près de Cyangugu, dans le sud-ouest du pays, en avril 2013

En tant que coopérant étranger, j’ai souvent eu l’impression, pendant les onze mois passés au Rwanda, de vivre dans une dictature.

Une dictature féroce et bien rôdée.

Une dictature qui sait à merveille utiliser la presse, la diplomatie, et quelques hommes politiques connus, « amis du Rwanda » (comme Bill Clinton et Tony Blair) – afin de mettre en vitrine les succès économiques du pays… et, du coup, masquer tout le reste, et museler l’opposition.

Vu du terrain, les choses sont cependant bien différentes…

Rwanda education
Cérémonie de remise de diplôme, éducation aux adultes, dans le village de Burumba, près de Nyagatare, province de l’est, en juin 2013

Depuis la fin du génocide en 1994, une grande partie de la population au Rwanda vit toujours, au quotidien, dans la peur.

La peur d’être dénoncé par un voisin, par un collègue, par un inconnu.

La peur d’être arrêté, de disparaître.

La peur d’être jeté en prison et d’y moisir, pendant des mois ou des années, sans procès.

La liberté de la presse, la liberté de parole, d’expression, n’existent pas au Rwanda. Et on ne critique pas ici impunément le gouvernement.

Kibuye, juillet 2013
Deux femmes et un enfant avancent sur un sentier sablonneux près de Kibuye, dans la province de l’ouest, en juillet 2013

Paradoxalement, l’une des choses qui frappe le plus en arrivant au Rwanda, c’est l’admiration presque unanime que les citoyens semblent vouer à leur président.

Élu en 2010, pour un second mandat de sept ans, avec plus de 90% des suffrages exprimés, le président Kagame règne aujourd’hui sur le pays comme jadis le roi sur ses vassaux.

La constitution, cependant, impose au président sortant une limite de deux mandats consécutifs. Limite que M. Kagame a publiquement affirmé vouloir respecter

Comme le président, toutefois, ne montre aucun signe de vouloir partir, partout au pays, la grogne contre le régime monte.

La magnifique région de Kinigi, près de Musanze, dans la province du nord. On aperçoit à l’horizon la chaîne montagneuse des Virunga

Lors de mon récent séjour dans la province du nord, le mois dernier, les souvenirs de la visite du président, le 10 et 11 juin, à Musanze, étaient encore sur toutes les lèvres.

Afin de « célébrer » la venue du président, les autorités avaient contraint les habitants de la ville à se rendre au stade municipal pour accueillir Son Excellence. Les commerçants avaient dû, de force, fermer boutique. Les écoles du district avaient également dû fermer leurs portes.

Les fonctionnaires avaient, eux, reçu des autorités des consignes très claires. Quitter le bureau, docilement, et aller applaudir le président. Ou prendre le risque de rester chez soi, les rideaux tirés, en espérant ne pas être dénoncé.

Une grande partie de la foule a dû attendre cinq à six heures, sous un soleil brûlant, l’arrivée du président.

Avant et pendant la visite de Son Excellence, des policiers et des militaires, lourdement armés, avaient envahi la ville. Les autobus ne pouvaient plus circuler. Dans un bel exercice de « démocratie », Musanze avait été bouclée, muselée.

Musanze, mars 2013
Au centre-ville de Musanze (autrefois Ruhengeri), en juin 2013

Les langues pourtant commencent à se délier. Et de plus en plus de citoyens osent dire, de plus en plus haut, ce que la majorité des Rwandais pense tout bas.

Pour le bien et la stabilité du pays, le président devrait respecter la constitution et ne pas se présenter aux prochaines élections, prévues en 2017.

C’est cependant tout le contraire qui se produit.

À l’intérieur du pays, l’opposition politique est inexistante, la dissidence bâillonnée, la presse sous le contrôle des autorités, et la présence militaire, partout, s’accentue.

Tous les jours de la semaine, à partir de 15h ou 15h30, des militaires armés prennent position aux carrefours des grandes villes du pays. Mitraillette au poing, ils surveillent les endroits stratégiques, les marchés, les ronds-points, les centres de transport.

Deux membres du cabinet (dont le ministre de la Justice) ont récemment été évincés pour avoir, à mots couverts, souhaité le départ du président après 2017.

Mukama, Nyagatare, Rwanda
Habitants du secteur Mukama, situé à proximité de Nyagatare, dans la province de l’est, en mai 2013

J’espère de tout cœur que le président Kagame respectera sa parole et honorera la constitution rwandaise.

Depuis son arrivée au pouvoir, le Rwanda a fait des pas de géant. Le pays se transforme. Les grandes villes, en particulier, se métamorphosent. Le président, s’il s’en va, pourra partir la tête haute.

À d’autres maintenant de prendre le relais.

Les candidats de valeur ne manquent pas. À commencer par la formidable ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, femme intègre, compétente, francophone et polyglotte de surcroît.

Plusieurs autres candidats, tout aussi compétents, sont également sur les rangs.

Une alternative démocratique au Rwanda est possible et nécessaire.

Sinon, à plus ou moins long terme, de nouveaux soulèvements risquent fort de se produire au Rwanda… avec des conséquences désastreuses.

Après onze mois de travail bénévole dans les écoles de la province de l’est, je quitte le Rwanda dans quelques heures.

Je tenais, avant mon départ, à partager ce témoignage.

Enfants, lac Ruhondo
Enfants sur les sentiers du lac Ruhondo, près de Musanze, dans la province du nord, en juillet 2013