
La route entre Musanze (Ruhengeri) et Muhanga, dans le nord-ouest du Rwanda, en juin 2013
Mon contrat de travail au Rwanda ayant officiellement pris fin, je ne suis plus désormais astreint au « devoir de réserve » auquel doivent se plier les coopérants en poste au Pays des mille collines.
Ce devoir de réserve est d’ailleurs l’une des premières choses que l’on rappelle aux travailleurs étrangers lorsqu’ils arrivent à Kigali. « SVP, faites attention à ce que vous dites en public, ou à ce que vous écrivez sur le Rwanda! » nous répète-t-on inlassablement lors des réunions d’orientation.
Toute vérité n’est pas bonne à dire au pays de l’oncle Paul…

Carte et topographie des principales villes du Rwanda. Encerclée en rouge, dans la province de l’est, Nyagatare, la ville où j’ai passé onze mois en 2012-2013 comme coopérant bénévole pour l’ONG canadienne CUSO/SUCO, en partenariat avec VSO.

Photo de fin de contrat devant le bureau du district de Nyagatare avec une responsable du programme de VSO/CUSO au Rwanda, le 25 juillet 2013. Pari tenu. Mission terminée!
Au cours des onze derniers mois, j’ai essayé scrupuleusement de respecter cet engagement.
Dans le blog précédent, Voyage au pays des mille collines, mes observations et commentaires sur le Rwanda ont été largement positifs et élogieux.
Et avec raison, puisqu’il y a tant de choses à louer et à admirer au Rwanda! L’accès aux soins de santé et à l’éducation, la propreté dans l’espace public, le succès des travaux communautaires, la paix surtout, retrouvée après tant d’années de conflits…
Le pays, comme je l’ai souvent souligné, est devenu, depuis six ou sept ans, la coqueluche des médias internationaux. Partout, le Rwanda est cité en exemple, montré du doigt comme le symbole de l’Afrique qui avance, qui progresse, qui réussit.
La réalité cependant n’est pas aussi simple.
En tant que coopérant étranger, j’ai souvent eu l’impression, pendant les onze mois passés au Rwanda, de vivre dans une dictature.
Une dictature féroce et bien rôdée.
Une dictature qui sait à merveille utiliser la presse, la diplomatie, et quelques hommes politiques connus, « amis du Rwanda » (comme Bill Clinton et Tony Blair) – afin de mettre en vitrine les succès économiques du pays… et, du coup, masquer tout le reste, et museler l’opposition.
Vu du terrain, les choses sont cependant bien différentes…

Cérémonie de remise de diplôme, éducation aux adultes, dans le village de Burumba, près de Nyagatare, province de l’est, en juin 2013
Depuis la fin du génocide en 1994, une grande partie de la population au Rwanda vit toujours, au quotidien, dans la peur.
La peur d’être dénoncé par un voisin, par un collègue, par un inconnu.
La peur d’être arrêté, de disparaître.
La peur d’être jeté en prison et d’y moisir, pendant des mois ou des années, sans procès.
La liberté de la presse, la liberté de parole, d’expression, n’existent pas au Rwanda. Et on ne critique pas ici impunément le gouvernement.

Deux femmes et un enfant avancent sur un sentier sablonneux près de Kibuye, dans la province de l’ouest, en juillet 2013
Paradoxalement, l’une des choses qui frappe le plus en arrivant au Rwanda, c’est l’admiration presque unanime que les citoyens semblent vouer à leur président.
Élu en 2010, pour un second mandat de sept ans, avec plus de 90% des suffrages exprimés, le président Kagame règne aujourd’hui sur le pays comme jadis le roi sur ses vassaux.
La constitution, cependant, impose au président sortant une limite de deux mandats consécutifs. Limite que M. Kagame a publiquement affirmé vouloir respecter
Comme le président, toutefois, ne montre aucun signe de vouloir partir, partout au pays, la grogne contre le régime monte.

La magnifique région de Kinigi, près de Musanze, dans la province du nord. On aperçoit à l’horizon la chaîne montagneuse des Virunga
Lors de mon récent séjour dans la province du nord, le mois dernier, les souvenirs de la visite du président, le 10 et 11 juin, à Musanze, étaient encore sur toutes les lèvres.
Afin de « célébrer » la venue du président, les autorités avaient contraint les habitants de la ville à se rendre au stade municipal pour accueillir Son Excellence. Les commerçants avaient dû, de force, fermer boutique. Les écoles du district avaient également dû fermer leurs portes.
Les fonctionnaires avaient, eux, reçu des autorités des consignes très claires. Quitter le bureau, docilement, et aller applaudir le président. Ou prendre le risque de rester chez soi, les rideaux tirés, en espérant ne pas être dénoncé.
Une grande partie de la foule a dû attendre cinq à six heures, sous un soleil brûlant, l’arrivée du président.
Avant et pendant la visite de Son Excellence, des policiers et des militaires, lourdement armés, avaient envahi la ville. Les autobus ne pouvaient plus circuler. Dans un bel exercice de « démocratie », Musanze avait été bouclée, muselée.
Les langues pourtant commencent à se délier. Et de plus en plus de citoyens osent dire, de plus en plus haut, ce que la majorité des Rwandais pense tout bas.
Pour le bien et la stabilité du pays, le président devrait respecter la constitution et ne pas se présenter aux prochaines élections, prévues en 2017.
C’est cependant tout le contraire qui se produit.
À l’intérieur du pays, l’opposition politique est inexistante, la dissidence bâillonnée, la presse sous le contrôle des autorités, et la présence militaire, partout, s’accentue.
Tous les jours de la semaine, à partir de 15h ou 15h30, des militaires armés prennent position aux carrefours des grandes villes du pays. Mitraillette au poing, ils surveillent les endroits stratégiques, les marchés, les ronds-points, les centres de transport.
Deux membres du cabinet (dont le ministre de la Justice) ont récemment été évincés pour avoir, à mots couverts, souhaité le départ du président après 2017.
J’espère de tout cœur que le président Kagame respectera sa parole et honorera la constitution rwandaise.
Depuis son arrivée au pouvoir, le Rwanda a fait des pas de géant. Le pays se transforme. Les grandes villes, en particulier, se métamorphosent. Le président, s’il s’en va, pourra partir la tête haute.
À d’autres maintenant de prendre le relais.
Les candidats de valeur ne manquent pas. À commencer par la formidable ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, femme intègre, compétente, francophone et polyglotte de surcroît.
Plusieurs autres candidats, tout aussi compétents, sont également sur les rangs.
Une alternative démocratique au Rwanda est possible et nécessaire.
Sinon, à plus ou moins long terme, de nouveaux soulèvements risquent fort de se produire au Rwanda… avec des conséquences désastreuses.
Après onze mois de travail bénévole dans les écoles de la province de l’est, je quitte le Rwanda dans quelques heures.
Je tenais, avant mon départ, à partager ce témoignage.
merci Max
Premier commentaire de cette nouvelle série d’articles… Merci, Marc!
Cher Max, explorateur du monde,
En te promenant, tu rencontres beaucoup de gens, et tu apprends des perspectives d’autrui. C’est en ayant des conversations, beaucoup de DIA-logues qu’on peut mieux se comprendre pour créer une paix, une harmonie pour qu’on puisse bien vivre dans nos environnements, nos communautés, une salle de classe, une nation… dialogue Socratique… empathie…
Merci, Francophoung!
Cher Max,
J’ai trouvé ton blog en cherchant des infos sur Nyagatare. VSO m’a offert un stage en tant que TMA à Nyagatare, et je suis en train de réflechir là-dessus. J’ai ainsi lu tes articles avec intérêt. Comme tu as vécu à Nyagatare et travaille comme coopérant-bénévole, je voudrais savoir si tu recommanderais un stage là-bas? Je sais que ca pourrait être difficile de s’exprimer de manière franche sur un blog CUSO/VSO. Tu as parlé dans cet article des points plutot négatifs, y-a-t-il autre chose que je devrais considérer avant d’accepter?
Je te remercie d’avance!
Catrin
(Desolee pour les accents; ce clavier anglais ne me laisse pas faire!)
Bonjour Catrin,
Merci pour ton message. Je suis très heureux d’avoir de tes nouvelles. Accepter ou non un stage à Nyagatare est une grande décision. De quelle durée est le stage? Auras-tu avant de venir au Rwanda une formation pré-départ? Si cela te convient, nous pourrions continuer la conversation par courriel?