
Quel plaisir de retrouver Montréal cet été après tant d’années d’absence! C’est dans cette ville qu’a débuté, il y a bien longtemps, l’aventure canadienne de notre famille.
C’était en 1972. J’avais quinze ans.
Je m’en rappelle comme si c’était hier.
Mon frère, ma sœur et moi sommes arrivés à Montréal à la fin de l’été, à la mi-août. En provenance de Lagos, au Nigéria, où travaillait notre père, médecin à l’OMS. Ma mère avait quelques semaines plus tôt fait le déplacement jusqu’à Montréal et avait minutieusement préparé notre arrivée.
Nous avons reçu, en quittant l’aéroport (Dorval, à l’époque), un document confirmant notre statut « d’immigrant » au pays. Une feuille rose que l’agent d’immigration a pliée en quatre avant de la glisser, avec un sourire, dans notre passeport.
– « Surtout, les enfants, SVP, ne perdez pas cette feuille. Gardez-la précieusement », répétait notre mère. Ce document, daté, tamponné, signé, c’était notre sésame.
Un appartement nous attendait sur la rue Queen Mary, dans le quartier Côte-des-Neiges. À deux pas de l’Oratoire Saint-Joseph. Nous étions, selon les voeux de la famille, inscrits dans de « bonnes » écoles.
Pour moi, c’était le Collège Stanislas, à Outremont. Pour ma soeur, le Collège Marie de France, situé pratiquement en face de l’appartement. Mon frère, lui, était admis en biologie à l’université de Montréal. Mon frère aîné, aux études aux États-Unis, nous rejoindra un an plus tard.
Tout ce dont nous avions besoin, épicerie, bureau de poste, papeterie, était à cinq minutes de marche, « en bas de la côte », comme nous disions alors, dans ce qui est aujourd’hui le secteur du métro Snowdon.
Ma mère ne conduisant pas, nous prenions, pour nous déplacer, les transports en commun, les bus surtout: le 51 pour Outremont, le 165 ou le 65 pour le centre-ville, le 124 et le 161 (pour me rendre à Stanislas via la rue Van Horne). Quel changement avec la vie que nous menions en Afrique!
J’avais été surpris de constater les premiers jours que dans notre voisinage les commerçants, les habitants, parlaient plutôt l’anglais. Notre appartement était situé à proximité de plusieurs quartiers anglophones – Hampstead, Côte-Saint-Luc, Westmount, Notre-Dame-de-Grâce – et les francophones avaient parfois de la difficulté à se faire comprendre…
L’élection du Parti Québécois, quatre ans plus tard, en novembre 1976, allait complètement bouleverser les habitudes du quartier. Le français devient alors la seule langue officielle de la province. Et le Parti Québécois annonce dès son arrivée au pouvoir la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Québec. Du jour au lendemain, des milliers de Montréalais et de Québécois anglophones prennent le chemin de l’exil vers Toronto et vers la province voisine de l’Ontario.

Mais nous n’en étions pas encore là en cette fin d’été 1972. Entourés par quelques proches et amis de la famille, nous nous sommes donc installés, timidement, au milieu du mois d’août, dans cette grande ville que nous ne connaissions pas, et dans ce pays qui allait devenir notre nouvelle patrie…

Quelques jours à peine après notre arrivée débutait à Montréal « la Série du siècle ». Une série de huit matches qui allait opposer l’équipe canadienne de hockey sur glace à celle de l’URSS. Une série légendaire qui allait, pendant un mois, passionner et enflammer tout le pays.
Je n’avais jamais auparavant prêté la moindre attention à ce sport étrange où les joueurs se battaient fréquemment sur la glace et purgeaient ensuite, à l’écart, des punitions. J’avais remarqué, en lisant les journaux, qu’on ne parlait dans la section des sports que de baseball, de « football » canadien et, bien sûr, de hockey. Rien sur le cyclisme ou sur le « vrai » football, à onze.
Je n’en revenais pas.
Comment pouvait-on au Canada ignorer « le foot » ou les coureurs du Tour de France?


Après avoir été menée 3 parties à 1, l’équipe canadienne allait finir par remporter cette fameuse « Série du siècle ».
Grâce à but marqué dans les dernières minutes lors du huitième et ultime match, disputé à Moscou.
Cet immense événement sportif – dont tout le monde parlait alors, à l’école, dans la rue, dans les magasins – a été pour moi une véritable révélation. Une initiation.
Cette série symbolisait en effet mon entrée dans un monde bien différent de celui que j’avais laissé derrière moi à Lagos, à Lomé ou à Melun.
Après l’Afrique et la France, je commençais, à Montréal, à quinze ans, un tout nouvel apprentissage…


J’amorçais en cette fin d’été et pendant l’automne 1972, sans le savoir, une longue immersion dans une double culture, québécoise et canadienne, dont j’ignorais à peu près tout…

Après toutes ces années (et de nombreux séjours, assez brefs, dans la ville) me revoilà, avec Diana, à Montréal!
Pour un mois cette fois-ci. Entouré de mes frères, de ma sœur, de mes neveux et nièces afin de célébrer avec eux, en famille, plusieurs événements heureux.

Nous avons fait le choix de nous installer, comme lors de nos séjours à Belleville ou Ménilmontant à Paris, dans un quartier populaire de la ville. Dans une rue calme, située à proximité du parc Kent, dans le secteur nord de l’arrondissement de Côte-des-Neiges.

Le quartier a beaucoup changé depuis mon départ, au début des années 80.

Les résidents d’autrefois, d’origine jamaïcaine ou haïtienne cohabitent aujourd’hui, paisiblement, avec des habitants venus des Philippines, du Vietnam ou du Sri Lanka.

Le centre d’achats Côte-des-Neiges, au coeur du quartier, s’est métamorphosé en une véritable tour de Babel. Dans les allées des magasins, les clients et les commerçants, en plus du français ou de l’anglais, parlent le tagalog, le mandarin, l’arabe et de multiples langues régionales venues de l’Inde, de la Chine ou des Philippines.
On peut acheter dans les boutiques des saris, des banh mi, du gai lan ou du bok choy.
De nombreuses associations aident ici les arrivants et leurs familles à s’intégrer à leur nouveau pays…
D’après ce que nous avons vu et vécu dans le quartier depuis bientôt un mois, le « vivre-ensemble » de ses cultures si différentes se passe admirablement bien.
Il ne semble pas y avoir à Montréal la tension qui marginalise et isole souvent les minorités dans les villes européennes. Si elle existe, nous ne l’avons pas ressentie. Aucune méfiance ici. Pas d’hostilité.
Tout le monde cohabite et partage paisiblement l’espace public.
C’est un vrai plaisir de déambuler pendant la journée dans les rues du quartier… et de déguster, à l’improviste, la cuisine du monde entier….


Montréal compte aujourd’hui près de deux millions d’habitants…. et la ville, réorganisée en 2002 en dix-neuf arrondissements, est en pleine mutation…
De nouveaux quartiers surgissent, notamment dans le sud-ouest de la métropole. Ce secteur, situé près du fleuve Saint-Laurent, a connu, depuis une vingtaine d’années, une profonde transformation.

D’autres quartiers, plus anciens, renaissent. C’est le cas des secteurs Angus et Hochelaga-Maisonneuve où d’immenses entrepôts, appartenant autrefois aux grands barons de l’industrie, ont été peu à peu rénovés et reconvertis en appartements ou en vastes espaces à vocation communautaire ou culturelle….


Ces appartements ou lofts rénovés accueillent aujourd’hui des jeunes familles en quête d’un loyer raisonnable. D’autres, célibataires ou en couple, viennent ici acquérir leur premier appartement….
C’est que l’accès au logement à Montréal reste – pour combien de temps? – relativement abordable.
Les statistiques de la Ville indiquent que le loyer d’un appartement typique de deux chambres était l’an dernier de $782… À l’autre bout du pays, à Vancouver, il fallait, en 2017, compter près du double – $1552 – pour un espace similaire…
De plus, on peut encore acheter à Montréal un logement neuf, à un prix défiant toute concurrence… comme en témoigne cette affiche, aperçue il y a quelques jours rue de Rouen…

Ces différents quartiers de la ville sont aujourd’hui reliés par un impressionnant réseau de pistes cyclables, praticables en général du 1er avril au 15 novembre…



Ces innombrables pistes cyclables nous ont permis, pendant notre séjour, d’explorer et de découvrir Montréal à notre guise…


Du plateau-Mont-Royal au Vieux-Montréal… De Rosemont au quartier branché du Mile-End… D’Outremont au canal Lachine, nous avons dû parcourir en vélo une bonne centaine de kilomètres…



Tôt un matin, j’ai emprunté la longue piste cyclable de l’avenue Christophe-Colomb qui m’a conduit, en une douzaine de kilomètres, tout au nord de l’île de Montréal… jusqu’à la rivière des Prairies… et jusqu’au parc naturel de l’île-de-la-Visitation… où j’ai découvert ce qui est sans doute l’un des plus anciens et l’un des plus beaux édifices religieux de la région de Montréal…


Il fait bon vivre l’été à Montréal!… Et j’ai parfois l’impression d’être, ici, de retour à la maison…




Nous avons été frappés pendant notre séjour à Montréal par le grand calme et par la tranquillité qui règnent dans les petites rues des différents quartiers, notamment dans l’est de la ville….
Nous avons aussi été touchés par la politesse et par la gentillesse des habitants à qui nous demandions notre chemin…

Sans vouloir généraliser, nous nous sommes demandé si le coût de la vie, relativement peu élevé ici, avait une incidence sur le bien-être et la convivialité des habitants… Chez nous, à Vancouver, depuis quelques années, les gens semblent si pressés, si anxieux… tourmentés peut-être par les loyers exorbitants ou par les hypothèques vertigineuses consenties à l’achat de leurs domiciles…
Rien de tout cela ici… L’habitat, comme locataire ou comme propriétaire, semble être encore à la portée de la majorité… C’est là un atout majeur pour Montréal… Atout à sauvegarder.
Mais… y a-t-il des nuages à l’horizon? Une manifestation a eu lieu cette semaine pour protester contre la gentrification et la hausse des loyers dans le quartier de Parc-Extension, quartier populaire, connu pour la modicité de ses loyers. D’autres manifestations sont prévues dans les prochains jours.
Déjà, l’an dernier, des citoyens avaient haussé le ton contre l’embourgeoisement du quartier Hochelaga-Maisonneuve, comme le rapporte ici le quotidien Le Devoir…
Curieusement, l’accès au logement ne semble pas être un des enjeux de la campagne électorale provinciale qui s’amorce. C’est dommage! C’est le moment d’être vigilant.
Le Québec ira aux urnes le 1er octobre.

Un dernier mot.
J’ai été étonné de constater que la langue française à Montréal avait depuis mon départ pris un nouvel accent.
Au traditionnel joual des quartiers de l’est de la ville est venu se greffer, avec le temps, une multitude d’autres accents, colorés, ensoleillés, venus du sud et des pays de la Méditerranée, d’Haïti, de l’Asie et du Moyen-Orient…
Il y a comme du pili-pili, du piment d’espelette et du nuoc nam dans la langue française parlée aujourd’hui à Montréal….
Un exemple?
Après le sempiternel ‘Bonjour/Hi » qui accueille ici partout les gens dans l’espace public, l’oreille se tend… et savoure ensuite, dans les échanges, l’accent de Casablanca, de Port-au-Prince, de Phnom Penh ou de Paris…
Comment cette langue va-t-elle évoluer dans les années à venir?
Difficile de le prédire… mais c’est une autre raison, pour nous, comme le dit la chanson de Robert Charlebois, de revenir à Montréal…

Notre « été canadien » se poursuit dans les prochains jours avec une halte dans la ville de Gatineau, située dans la région de l’Outaouais (à proximité d’Ottawa), à deux heures de route environ à l’ouest de Montréal.
Nous irons ensuite jusqu’à Calgary, en Alberta, passer quelques jours dans la famille de Diana…
Bonne fin d’été à tous!






