Grande effervescence cette semaine dans les rues de Jacmel à l’approche du carnaval national. Carnaval célébré cette année le dimanche 31 janvier – sept jours exactement, comme le veut la tradition, avant celui de la capitale.
Carnaval qui ailleurs au pays se déroule sous haute tension, vu le récent report des élections présidentielles, le mécontentement de la population envers les autorités et les manifestations, parfois violentes, qui secouent plusieurs régions d’Haïti.
Dans les rues de la vieille ville de Jacmel cependant, au cœur du quartier des artisans, les habitants accueillent les visiteurs avec le sourire, comme cette jeune femme, rencontrée rue Ste-Anne, mercredi matin…

Les artisans qui fabriquent dans leurs ateliers les masques et les figures en papier mâché, éléments essentiels du carnival de Jacmel, sont à l’ouvrage depuis plusieurs jours. Ils mettent, mercredi matin, la dernière touche à leurs créations…

En se promenant dans les rues de la vieille ville, on ne peut que constater, encore une fois, l’immense décalage qui existe entre ce qu’impriment et diffusent les médias, basés à Port-au-Prince, et la réalité qu’on observe tous les jours dans les villes de province comme Les Cayes ou Jacmel.
D’un côté, on entend, à la radio notamment, les propos incendiaires de députés ou de sénateurs qui, devant les micros à Port-au-Prince, s’agitent et parlent de « guerre civile » en Haïti.
De l’autre, on mesure, on admire la grande dignité des Haïtiens qui mènent en province, auprès de leurs familles, une existence calme et paisible. En affrontant au quotidien leurs défis, leurs épreuves, avec courage et détermination.

Grand ciel bleu le dimanche 31 janvier, jour du carnaval!
La Fête va commencer!
L’artère principale de la ville, l’Avenue Barranquilla, est bondée! On a construit toute la semaine, le long du parcours du défilé, des échafaudages de fortune afin d’accueillir résidents et visiteurs. Des participants au défilé, costumés, retardataires, courent en riant rejoindre leurs groupes, rassemblés le long du bord de mer. Il est 11 heures. Le grand défilé du carnaval doit débuter à midi…

Quelle incroyable célébration!
Pendant plus deux heures, nous avons eu le grand bonheur d’assister dans les rues de Jacmel à un spectacle prodigieux, ahurissant!
Un festival de danse et de musique… conjugué à un somptueux ballet aux couleurs tropicales.
La parade du carnaval se déroule dans une ambiance surchauffée de kermesse, de réjouissance, de liesse populaire, de fête indescriptible!
Fête portée par les rires, les cris, le rythme des tambours et le son assourdissant des trompettes…

Voici, en quelques photos, le résumé d’une journée i-n-o-u-b-l-i-a-b-l-e!….

Le carnaval met en scène différentes figures du folklore de la culture haïtienne.


Des groupes communautaires profitent également de l’événement pour faire passer, en marge du cortège, des messages de sensibilisation reliés à la santé, au sida, au choléra.

Le carnaval s’est poursuivi une grande partie de la nuit dans les rues de Jacmel, à ma connaissance, sans incidents…

Excursion jusqu’à Belle Anse

On m’avait depuis mon arrivée plusieurs fois mis en garde : la route jusqu’à Belle Anse, située à une soixante de kilomètres à l’est de Jacmel, n’est pas en bon état. « Prévoir, en moto, au minimum, deux heures… », m’avait-on dit. J’étais prévenu…

Je tenais quand même absolument à explorer la région et, têtu, je suis donc parti, le jeudi 28 janvier, accompagné d’un chauffeur recommandé par l’hôtel, en direction de Belle Anse, petit village posé sur la côte sud, à mi-chemin entre Jacmel et la frontière avec la République dominicaine…


Voyage épique!
Il nous a fallu presque douze heures – et trois crevaisons – pour rejoindre Belle-Anse et revenir à Jacmel, à la nuit tombée, fourbus, trempés, les vêtements pleins de boue…

Quelle aventure!
Comme l’indiquent les cartes, après le village de Marigot, la route goudronnée disparaît et est remplacée par du gravier puis par un chemin de terre rouge qui monte lentement dans les mornes… À mesure que l’on progresse, vers l’est, première surprise : sur le chemin, nous rencontrons une jeune fille qui, en plus du créole, parle, comme seconde langue, non pas le français mais l’espagnol. C’est l’un des nombreux enfants, m’explique-t-on plus tard, issu de familles haïtiennes ayant longtemps vécu en République dominicaine… dont il sera question dans quelques instants.

Deuxième constat, la route est dans un état lamentable, et Bernardin murmure quelque chose que j’ai souvent entendu pendant mon séjour ici: la comparaison entre Haïti et la République dominicaine. Pourquoi, me demande Bernardin, les Dominicains peuvent-ils, chez eux, construire des routes, bâtir des écoles, gérer leur pays d’une façon convenable, alors qu’en Haiti la situation ne s’améliore pas, ou si peu…
Le chemin culmine parfois à plus de 1800 mètres d’altitude et nous traversons, dans le brouillard ou en plein soleil, des régions magnifiques où l’apparition d’un étranger en moto semble être toujours un sujet d’étonnement… La terre est fertile; on cultive ici des poireaux, du maïs, du riz, du chou, des carottes, des oignons, des pommes de terre… À quelques dizaines de kilomètres, au nord-est, il y a des champs de café, près du village de Thiotte, à proximité du Parc National Forêt des Pins….

C’est vraiment le bout du monde, Belle-Anse! L’unique hôtel du village est fermé, et je m’installe à la terrasse d’un petit café, au bord de la route, en attendant que Bernardin revienne avec une nouvelle chambre à air. Ah, le bonheur du voyage! Heureusement, les habitants sont ici très accueillants. Ils préparent, me disent-ils, une fête, pour le soir même, la Fête des Philosophes. Je suis invité. Je dois malheureusement décliner, nous devons absolument rentrer à Jacmel avant la tombée de la nuit. Pari perdu, mais nous aurons, sur la route du retour, deux nouvelles crevaisons!

Je débute ce matin lundi la dernière étape de mon voyage : trois jours dans le village de Seguin, perché à près de 2000 mètres d’altitude au cœur du Parc National la Visite. Je serai logé à l’auberge du même nom. L’accès à l’internet sera limité ou inexistant. Retour prévu à Jacmel mercredi en fin d’après-midi, avant de prendre jeudi matin le bus pour Port-au-Prince, et l’avion vendredi matin pour Vancouver.

Cela a été une grande joie de revoir Haïti. Malgré le chaos qui règne parfois dans les rues, les incertitudes, les inégalités, les tensions sociales, voyager, sac à dos, de façon indépendante en Haïti, est une expérience incroyable, fabuleuse, qui laisse des traces – et pas seulement celles laissées par les moustiques!
Le pays m’appelle, et je reviendrai.


















