Il m’a fallu plusieurs jours avant de m’adapter au Sri Lanka.
Après le charme de la vieille ville de Fort Cochin, les plages et les grands espaces du Kerala, j’ai dû me réhabituer depuis deux semaines à la circulation automobile, au concert des klaxons, et à la forte densité de la population du Sri Lanka. Même si Colombo n’est qu’à quarante minutes d’avion de la côte sud de l’Inde, l’ambiance est ici très différente.
L’île est plus développée, plus urbaine, moderne, que l’état voisin, au nord. Les rapports quotidiens sont aussi plus formels, solennels. Les échanges, même les plus anodins, semblent suivre une étiquette, un protocole, un code dont le voyageur n’a pas toujours la clé.
Dans les gestes, les sourires, une réserve, presque partout.

D’autres diront peut-être le contraire, mais les gens semblent être ici plus pressés, impatients, stressés.
« C’est à cause des Fêtes », m’a dit le chauffeur de taxi qui me conduisait de l’aéroport à mon hôtel à Negombo, une petite ville de pêcheurs, située sur la côte ouest, près de l’aéroport.
De nombreux voyageurs préfèrent y passer leur première nuit afin d’éviter, en arrivant, la pollution et les embouteillages de la route qui mène à Colombo.

Negombo, qu’on surnomme au Sri Lanka « la petite Rome », vu le nombre important d’églises érigées dans la communauté. Et la grande proportion d’habitants qui ont été ici, à l’époque coloniale, convertis au catholicisme, par les portugais.
Negombo est aussi réputée pour ses deux immenses marchés de poissons, ouverts au public dès 6 heures le matin.

J’ai quitté Negombo le 26 décembre sans trop de regrets, les oreilles bourdonnantes du bruit des pétards et des feux d’artifices allumés un peu partout dans la ville pour célébrer Noël.
Et je suis parti comme prévu pour Kandy, l’ancienne capitale du pays, devenue aujourd’hui capitale culturelle, inscrite depuis 1988 au patrimoine mondial de l’Unesco.

J’avais espéré trouver à Kandy, à 500 mètres d’altitude, l’atmosphère tranquille et détendue des « Hill Stations » (stations climatiques) que j’aime tant en Asie du Sud-Est, comme Pyin Oo Lwin, ou Kalaw en Birmanie, ou Dalat au Vietnam.
Énorme déception. Embouteillages monstres sur la route et circulation infernale en arrivant à Kandy. Les bus, les rickshaws, les voitures et les piétons se disputent chaque mètre carré des rues du centre-ville. Dès 9 heures, il fait très chaud. L’air est irrespirable. On étouffe.

Heureusement, j’avais réservé une chambre dans une petite villa, située à 15 minutes de marche de la ville. Villa où j’ai pu, pendant plusieurs jours, apprécier, au calme, l’hospitalité sri lankaise.

Tous les matins, de somptueux petits déjeuners m’étaient servis…

L’homme à tout faire de la maison, Thomas, m’annonça un matin qu’il partait rejoindre sa famille, à 15 kilomètres de Kandy. Sans préavis, il m’a laissé la maison, qui était maintenant sous ma protection.
Grâce à une bibliothèque bien garnie, j’en ai profité pour étudier et essayer de mieux comprendre la situation politique et linguistique du pays. J’avais été surpris de constater que, même à Kandy, beaucoup de gens dans la rue ne parlaient pas l’anglais…
Le Sri Lanka a connu entre 1983 et 2009 une guerre civile sanglante qui opposa la majorité cingalaise (bouddhiste) aux Tigres de libération tamoul qui voulaient créer un état indépendant dans le nord et l’est du pays. Il y a eu des milliers de morts et de disparus.
De multiples tensions subsistent encore aujourd’hui entre les deux communautés.

Le cingalais, parlé par l’immense majorité de la population (87%), et le tamoul (25% de locuteurs) sont les deux langues officielles du pays.
L’anglais, comme dans le sud de l’Inde, est une langue que seuls les plus instruits comprennent. Il est utilisé comme langue de travail par le gouvernement. Dès qu’on s’éloigne des sentiers battus, il n’est plus d’une très grande utilité…

Installé dans mon cottage à Kandy, je n’allais en ville qu’une fois par jour, prendre mon déjeuner, faire rapidement quelques courses, et admirer en chemin, au bord du lac, l’un des lieux de pèlerinage les plus célébres du Sri Lanka, le temple de la Dent du Bouddha.

Malgré le confort et l’hospitalité qui m’ont été offerts, j’ai été heureux de quitter Kandy, le 31 décembre, en train, pour Ella…..

Trois fois par jour, un train relie Colombo puis Kandy aux petites villes situées en altitude dans une très belle partie du pays – the « Hill Country« .
La région est magnifique. Et est vite devenue, sous l’impulsion des colons britanniques, à la fin du 19è siècle, un des principaux centres de production de thé en Asie. Le thé qui est encore aujourd’hui un des moteurs de l’économie sri lankaise.
Le voyage depuis Kandy, direction sud, vers Ella, est superbe.
La voie ferrée traverse les plantations, franchit des ponts, des aqueducs. Les arrêts sont fréquents. Le train avance lentement au cœur d’une végétation luxuriante…

(Conseil pour ceux qui planifient le même voyage. Si l’on veut une place confortable, en première classe ou wagon climatisé, il vaut mieux réserver son billet à l’avance. Ils sont disponibles un mois avant la date du départ, et s’envolent en moins de vingt-quatre heures. Le trajet Colombo – Ella, en 1ère classe, coûte $12, environ 9 euros, une aubaine incroyable. Infos supplémentaires sur l’excellent seat61.com)

Après deux semaines, j’ai pu enfin trouver à Ella l’environnement que je cherchais depuis mon arrivée au Sri Lanka!
Même si la petite ville, perchée à 1040 mètres d’altitude, est maintenant devenue une des étapes obligées des voyageurs qui visitent la région des plantations, Ella a su garder (loin des commerces de la rue principale) son cachet de village de montagne, vert, accueillant et agréable. Même si les prix, pour le logement notamment, sont beaucoup plus élevés qu’ailleurs.
Les randonneurs sont ici chez eux. De nombreux sentiers débutent ou se terminent près d’Ella.
Pendant ma longue halte de sept jours, j’ai eu l’occasion d’en explorer plusieurs, dont les deux plus connus: Little Adam’s Peak et Ellas Rock.

Ma plus belle journée cependant, la plus belle de mon voyage au Sri Lanka jusqu’à présent, a débuté, très tôt, le mercredi 4 janvier…

J’étais avant 7 heures à la gare d’Ella afin de prendre le train, vers l’ouest, pour une heure environ, en direction de Haputale, une petite ville typique de la région des plantations – 3000 habitants, 1400 mètres d’altitude.
C’est à 11 kilomètres au nord de Haputale que Sir Thomas Lipton a construit, en 1890, une de ses premières plantations de thé…
… qui fonctionne toujours, à Dambatenne, dans un décor absolument féérique… où le brouillard, dès la mi-journée, se lève régulièrement…

En arrivant mercredi matin à la gare de Haputale, j’ai sauté dans un des bus qui assure la navette jusqu’à l’usine de Dambatenne…
… et je suis ensuite redescendu, lentement, à pied, jusqu’à mon point de départ – en savourant, dans le grand silence des montagnes, chaque minute de cette randonnée de 11 kilomètres.
Bonheur absolu.

J’entame demain les douze derniers jours de mon voyage au Kerala et au Sri Lanka.
Ce sont probablement ceux que j’anticipe le plus. Douze jours au soleil dans le grand sud du pays. À Galle d’abord, ancienne ville coloniale, et ensuite à Tangalle, au bord de l’océan Indien…
Malgré les aléas du voyage, la fatigue qui s’installe après les longues marches, malgré le manque de sommeil parfois (les chiens qui aboient la nuit, ou l’appel des muezzins du haut des mosquées), malgré la morsure du soleil, je suis extrêmement heureux et reconnaissant d’avoir, depuis le 30 novembre, découvert et exploré tant de nouveaux chemins!
Et j’espère, dans le grand sud, me réconcilier tout à fait avec le Sri Lanka…









