Comment partager le bonheur d’habiter, depuis bientôt deux mois, au Québec?
Le bonheur de parler et de vivre, ici, en français.
D’être près de la famille.
De vivre, à Montréal, à proximité de la communauté haïtienne.
Le bonheur aussi d’avoir découvert, grâce à Diana, pendant deux semaines, à la mi-août, une région sauvage, splendide et, selon moi, trop peu connue du Québec – le Saguenay-Lac-Saint-Jean!






À l’origine, les habitants du Saguenay sont les Montagnais (qu’on appelle aussi Innus) un peuple amérindien, présent dans la région depuis plus de 5000 ans.
Les Montagnais vivent principalement de chasse et de pêche, ils sont nomades. Selon les historiens, leur mode de vie, « en symbiose avec la nature, rend leurs traces très discrètes » le long d’un vaste territoire qui s’étend jusqu’à la côte nord du fleuve Saint-Laurent. (SVP voir la carte ci-dessous).


Les premiers européens, Français et Anglais, arrivent dans le Saguenay au milieu du 17è siècle pour la traite et le commerce des fourrures. Ils explorent « une contrée pratiquement à l’état vierge », nous disent les documents de l’époque. Les missionnaires, Jésuites, suivent peu après.
La région se développe vraiment au 19è siècle avec l’arrivée, en 1838, d’un groupe de colons, venus de Charlevoix. Accompagnés de leurs familles, ils viennent exploiter la terre et le bois. De nombreuses scieries sont créées afin de produire la pâte à papier.
L’industrialisation s’accélère au début du 20è siècle. Les principaux cours d’eau du Saguenay sont domptés, harnachés et utilisés pour la production électrique. Entre 1920 et 1930, plusieurs alumineries voient le jour, la plus connue étant sans doute l’immense aluminerie de la compagnie Alcan, située près de Jonquière, à Arvida. (Alcan a été rachetée en 2007 par Rio Tinto).
Pour mieux comprendre la région et son contexte, il faut aussi savoir que c’est au Saguenay qu’ont eu lieu, au début des années 40, les premières grandes luttes syndicales du Québec – et les premières victoires des travailleurs qu’on appelait alors les « Canadiens-français« .

En juillet 1941, environ 700 ouvriers de l’aluminerie Alcan, à Arvida, débrayent spontanément et occupent l’usine. Les jours suivants, l’arrêt de travail se propage dans les alumineries du Saguenay. Plus de 8500 travailleurs sont en grève, avec l’appui de la population, en grande majorité francophone.
Les ouvriers réclament de meilleures conditions de travail et une augmentation de salaire.

La direction des alumineries, anglophone, est médusée. Elle renâcle – puis riposte.
L’armée canadienne, équipée de mitrailleuses et de chars d’assaut, est dépêchée à Arvida. La tension monte. Les ouvriers ne cèdent pas. Une médiation s’engage et, quelques jours plus tard, les revendications des ouvriers sont acceptées. Ce qui débouchera, pour les travailleurs, sur des gains importants.
Cette grève marquera profondément les esprits et sera l’un des événements déclencheurs, l’une des amorces de « la Révolution tranquille », la période qui symbolisera, dans les années soixante, l’émancipation graduelle des francophones au Québec.

Cela a été un immense plaisir de rencontrer, pendant notre séjour, les gens du Saguenay!
Plus de 95% de la population ici est francophone!
Les établissements scolaires de la région, notamment les « Cegeps » (lycées) de Jonquière et de Chicoutimi accueillent, depuis des années, des étudiants du monde entier qui viennent apprendre ou perfectionner leur usage du français et faire ici l’expérience d’une immersion culturelle authentiquement francophone.

Quelle surprise aussi de découvrir les merveilleuses pistes cyclables de la région!




C’est un peu en pèlerinage que nous sommes allés, le samedi 10 août, passer la journée à Chicoutimi, la grande ville administrative du Saguenay…
Chicoutimi où, en 1949, un jeune étudiant haïtien, notre père, est venu effectuer une partie de son programme de résidence dans le cadre de ses études de médecine.
J’ose à peine imaginer son dépaysement, les premières semaines de son installation, sa découverte de l’hiver au Québec!
Ce séjour de travail a dû être pour lui une aventure hors du commun.

Combien de temps notre père, boursier à ce moment-là, est-il resté à Chicoutimi? Quelques mois seulement, semble-t-il, avant d’aller poursuivre ses études à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, et rentrer ensuite au pays…
Assez longtemps cependant, certainement, pour apprécier, jeune médecin, la gentillesse et l’ouverture des gens du Saguenay.
Je comprends mieux maintenant, avec le recul, son attachement au Québec, et sa volonté, plus tard, de faire venir ici sa famille…


Où exactement habitait notre père? Qui fréquentait-il à Chicoutimi, hors de l’hôpital? Comment s’est déroulée sa formation? Quelles expériences a-t-il vécues ici? Nous n’avons, malheureusement, que très peu de renseignements sur cette période de sa vie. C’est dommage!
Cependant, grâce au concours de mes frères et de ma soeur, j’ai découvert plus tard dans les archives familiales, l’attestation suivante, datée de Chicoutimi, le 2 janvier 1950.
Le document dit ceci: « … Monsieur le docteur S.A. a fait du service dans notre Institution durant l’espace de quelques mois. Pendant son séjour ici, le docteur A. nous a donné satisfaction tant pour son travail que pour son dévouement auprès des malades. Il nous fait plaisir de le recommander à votre bienveillante attention. Respectueusement »,
Soeur St-Ambroise, Hospitalière en chef. Hôtel-Dieu Saint-Vallier,
Chicoutimi, 2 janvier 1950.

Après cette journée pleine d’émotion, nous avons poursuivi, le jeudi 15 août, en voiture cette fois, notre exploration du Saguenay-Lac-Saint Jean…
Nous avons parcouru, ce-jour-là, plus de 200 kilomètres… La route nous a mené de Jonquière…
… à Saint-Gédéon, un petit village situé sur la rive est du lac Saint-Jean…

… puis au parc national de la Pointe-Taillon, sur la rive nord du lac, où, le temps d’un pique-nique suivi d’une petite sieste, nous avons retrouvé le littoral…


Nous nous sommes aussi arrêtés à Saint-Bruno, puis à Alma, avant de regagner note domicile à Jonquière…



Il faut malheureusement, quelques jours plus tard, dire au-revoir au Saguenay et à nos amis Ghislain et Rachel…

En quelques heures, le mardi 20 août, nous sommes de retour, en bus, via Québec, à Montréal…
… où nous retrouvons, avec plaisir, notre quartier de Côte-des-Neiges… le même où nous étions l’an dernier…

Quelle contraste entre Jonquière et Montréal!
Pour notre plus grand bonheur, la diversité culturelle est, à Montréal, dans les rues, dans les magasins, dans les parcs de la ville, présente, partout!



Montréal réserve aux visiteurs encore bien d’autres surprises!
Comme ces scènes de liesse dans les rues du « Petit Maghreb » lors de la victoire de l’Algérie face au Sénégal (1-0) à l’issue de la finale de la coupe d’Afrique de football!




Dans d’autres quartiers de Montréal, à Outremont par exemple ou dans le Mile-End, la co-habitation culturelle est parfois plus difficile. Notamment avec les membres de la communauté juive hassidique présente à Montréal depuis plus d’un siècle.




Cette cohabitation culturelle ne se déroule pas dans ces deux quartiers, semble-t-il, sans quelques heurts, comme en témoigne ici cet excellent reportage (53 minutes) de Éric Scott.
J’aimerais bien entendre les Montréalais s’exprimer sur la question…


Ce sera bientôt le temps, malheureusement, de quitter Montréal et le Québec…
Quel beau séjour nous avons passé ici!



Deux dernières observations, cependant, avant de reprendre, dans une dizaine de jours, la route vers Vancouver.
#1 – Le recul prononcé du français à Montréal se confirme, même dans les quartiers traditionnellement francophones de la ville. À Outremont, un quartier que je connais assez bien puisque je le fréquentais tous les jours comme étudiant, autrefois, au Collège Stanislas, l’anglais est de plus en plus présent.
Dans les boutiques, les cafés ou les restaurants de la rue Bernard, l’anglais, dans les échanges est maintenant omniprésent. Même scénario sur ou autour de la rue Laurier.
La présence du Mile-End, quartier anglophone, tout proche, quartier jeune et branché, peut-elle, à elle seule, expliquer le recul du français à Outremont? Ou le phénomène s’est-il généralisé?
Dans le quartier Villeray, par exemple, plus à l’est, quartier traditionnellement francophone lui aussi, on entend les clients, le samedi, à la terrasse des cafés, rue De Castelnau, parler autant l’anglais que le français.
Il faut maintenant aller jusqu’au quartier de Rosemont-Petite-Patrie, encore plus à l’est, pour retrouver, semble-t-il, à Montréal, des résidents majoritairement francophones.
#2 – L’augmentation inquiétante du prix de l’immobilier dans le Grand Montréal. Dans certains quartiers (voir le graphique ci-dessous) les prix des maisons unifamiliales a augmenté de plus de 30% en cinq ans. Même phénomène à peu près pour les maisons de ville ou les condominiums. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, réclame (avec raison, selon moi) l’imposition d’une taxe aux acheteurs non-résidents comme c’est le cas maintenant à Vancouver ou Toronto.
Le gouvernement québécois, pour l’instant, «étudie la question ». C’est dommage. Les autorités devraient agir très vite, et limiter aussi, c’est urgent, la hausses des loyers, avant que d’autres familles ne soient brutalement chassées de leurs logements comme c’est le cas maintenant dans les quartiers de Parc-Extension, Hochelaga-Maisonneuve et Saint-Henri.

Un mot de politique avant de terminer.

Dans quelques semaines, le 21 octobre, les Canadiens iront aux urnes afin d’élire un nouveau gouvernement. 338 sièges sont en jeu. Ce sera une élection cruciale.

À six semaines du scrutin, rien n’est encore joué.
Mais devant l’obscurantisme qui semble, un peu partout, gagner du terrain, espérons que les Canadiens éliront le mois prochain un gouvernement, majoritaire ou minoritaire, composé de parlementaires, hommes et femmes, progressistes et éclairés…
Bonne rentrée à tous!







