
Pour le voyageur sensible aux inégalités, il n’est pas si simple de partir séjourner à l’Île-à-Vache, une petite île située dans la mer des Caraïbes, à une dizaine de kilomètres au sud de la ville des Cayes…


Dans un pays aussi pauvre qu’Haïti, comment justifier passer presqu’une semaine au bord de plages magnifiques, nourri et logé dans un hôtel confortable, alors que partout ailleurs, sur l’île, les habitants, les enfants, les pêcheurs, survivent, avec trois fois rien…

Longue d’une quinzaine de kilomètres, l’île-à-vache a connu une histoire turbulente, changeant maintes fois d’allégeance, au fil des ans, entre les couronnes espagnoles, françaises et britanniques…

Du 16è au 18è siècle, l’île sert de repaire aux nombreux groupes de pirates, corsaires et flibustiers qui écument la mer des Caraïbes.
Le plus célèbre d’entre eux, Henry Morgan, à la recherche de recrues pour une nouvelle expédition, s’installe sur l’île pendant plusieurs mois. En 1670, à la tête d’une armée de 1800 hommes, il quitte l’Île-à-Vache et s’empare de Panama…

(Malgré son passé sanglant, Morgan sera plus tard anobli et nommé, par la couronne britannique, gouverneur de la Jamaïque…)

Aujourd’hui beaucoup plus paisible, l’île compte environ 20 000 habitants répartis sur une quinzaine de communes, aux noms enchanteurs: Cocotier, Bois Breton, La Fortune, Gros Morne…
Le village le plus important, Madame Bernard, accueille, le lundi et le jeudi, un grand marché.

En allant à la rencontre des habitants et en lisant des documents sur l’histoire de la région, on apprend que l’île doit son nom aux pirates qui décidèrent d’y laisser vivre des animaux en liberté….
Ceux-ci, à l’abri des prédateurs, se reproduisirent…
Ainsi, lorsque pirates et boucaniers souhaitaient faire dans la région une halte réparatrice, ils s’arrêtaient sur l’île et savaient qu’ils y trouveraient à manger…


Accompagné d’un guide, Jerson, j’ai voulu aller voir, jeudi matin, à quoi ressemblait le marché de Madame Bernard, situé à une heure trente de marche environ de l’hôtel…

L’île est magnifique! On se déplace ici à pied, à dos d’âne ou en moto.
Hormis trois hôtels, tous regroupés près du village de Kaycoq, à l’ouest de l’île, il existe très peu d’infrastructures pour les visiteurs…

En fait, phénomène curieux, à mesure que l’on se déplace vers l’est de l’île, l’accueil semble moins chaleureux et les sourires sont plus brefs.
Les marchandes, les paysans dévisagent l’étranger avec un brin d’agacement…
On se méfie aussi beaucoup des appareils photos….
Comment expliquer, dans cette partie de l’île, le changement d’attitude envers le voyageur?

Jérôme, jeune entrepreneur installé dans le village de Kaycoq, m’explique que le développement de l’Île-à-Vache a, logiquement, pris naissance dans la partie ouest de l’île, à proximité de la ville des Cayes…
Les habitants de l’est de l’île, plus isolés, ne sont, selon lui, toujours pas habitués à la présence des étrangers…
Il y a aussi peut-être une autre raison…

Le gouvernement veut construire ici un immense complexe touristique (avec casino, boîtes de nuit, piscines et terrain de golf) destiné à une clientèle internationale fortunée…
Déjà, près des Cayes, un aéroport exclusivement destiné à l’Île-à-Vache est en construction….
Un processus d’expropriation de terrains est en cours, et les habitants de l’île sont en colère.
L’un d’entre eux, dit-on, a été arrêté, mis en prison et est toujours détenu à Port-au-Prince, sans jugement… J’ignorais complètement ces informations avant de venir jusqu’ici…

Déception en arrivant au marché de Madame Bernard, il n’y a presque rien sur les étals… Nous sommes apparemment arrivés un peu trop tôt… Seule, la vente de petits animaux semble attirer quelques clients…

Il faut déjà repartir, et regagner l’hôtel, par un autre sentier cette fois…

En arrivant près de Port-Morgan, où a été construit un hôtel de luxe, le contraste est encore une fois saisissant entre le faste des yachts et des bateaux de plaisance ancrés dans la baie, et l’immense pauvreté qui règne aux alentours…
Plusieurs bateaux battent pavillon canadien…

C’est là l’un des nombreux paradoxes d’Haïti, et c’est difficile de réconcilier, et d’accepter, tout cela!…

Deux mots et quelques images avant de terminer:
1. – Immense soupir de soulagement après l’annonce, le vendredi 22 janvier, du report des élections présidentielles et législatives prévues pour le 24 janvier. Haïti aura, pendant les prochains mois, un gouvernement de transition.
2. – Après trois heures de route depuis les Cayes, je suis maintenant installé, comme prévu, dans la ville de Jacmel, dans le département du sud-est. Le carnaval débute ici vendredi. SVP voir Le carnaval de Jacmel.
3. – Ci-dessous, quelques-uns des merveilleux plats dégustés pendant mon séjour sur l’Île-à-Vache:






Après six jours, il faut déjà songer à quitter l’île-àVache…







