Après dix jours passés sur la côte sud de l’île, à Saint-Pierre – et après deux heures ahurissantes (en bus) à grimper sur « la route aux 400 virages » – changement radical de décor et d’atmosphère en arrivant à Cilaos, le vendredi 5 décembre.



Dans l’histoire tourmentée de l’île Bourbon, devenue La Réunion, Cilaos (5000 habitants environ) occupe une place bien particulière.
D’après les historiens, le nom du village proviendrait du malgache « tsilaosa » qui signifie « lieu où l’on se sent en sécurité ».
C’est ici, à 1200 mètres d’altitude, et encore plus haut, dans « la vallée sacrée » (2000 mètres), que venaient autrefois se réfugier les esclaves en fuite – « les marrons » – qui fuyaient les bastonnades, les sévices et les mauvais traitements infligés dans les plantations de café et de canne à sucre établies près de la côte.

Aux trousses de ces esclaves fuyant vers les cirques, un groupe d’hommes cupides et cruels: « les chasseurs de marrons » – des colons, payés par les propriétaires de plantations pour récupérer les fuyards « qui peuvent encore servir ». Ces « chasseurs de marrons » sont sans pitié.
« Lorsque le fugitif est repris vivant », nous rappellent les historiens, « la sanction est terrible ».
» Sanction codifiée par l’article 38 du Code noir, qui date de 1724 dans sa version réunionnaise. À la première incartade, il y a le fouet et les oreilles coupées… À la deuxième tentative, le tendon d’Achille est sectionné… À la troisième: la pendaison… » (Voir ici l’article du Monde daté du 4 mai 2012)
Une partie seulement des esclaves en fuite étaient repris.
« Les autres », apprend-on, « profitèrent de la difficulté d’accès aux cirques de l’île pour y vivre en toute liberté et en pleine nature… ». C’est ainsi, peu à peu, qu’entre 1825 et 1850 – « avec l’arrivée des premiers marrons et des « Petits Blancs », pauvres et sans terres » – que Cilaos se peuple.
Voilà pour l’histoire, à grands traits.

Surprise, le lendemain de notre arrivée, alors que nous découvrons, émerveillés, ce petit coin de paradis. La commune honore les anciens élèves du « Petit Séminaire » de Cilaos, l’un des premiers collèges de l’île et une véritable institution à La Réunion.
Entre 1913 et 1972, l’établissement a formé des générations de jeunes garçons qui vont à leur manière contribuer au développement, au rayonnement de l’île. Le collège fait aujourd’hui partie du patrimoine réunionnais.

Malgré le temps couvert, nous décidons dès le premier jour d’explorer quelques-uns des sentiers qui partent du village vers la montagne, la forêt, les cascades…

Randonnée un peu plus difficile, le lundi 8 décembre…


C’est lors du Marché forain…

Que nous avons eu, sous l’ombre d’un jacaranda…

… la plus longue et la plus bouleversante de nos conversations à La Réunion…
… avec Patrick, un rescapé, l’un des survivants de ce qu’on appelle aujourd’hui « les enfants de la Creuse ».
Un peu d’histoire.
Entre 1962 et 1984, plus de 2000 enfants réunionnais ont été arrachés à leur île et envoyés de force en France, notamment dans le département de la Creuse.
L’objectif est double. Freiner l’explosion démographique de La Réunion qui inquiète les autorités. Et intégrer ces enfants dans des départements, en métropole « peu peuplés » (le Tarn, la Lozère, le Gers…) et « favorables à l’accueil d’enfants en difficulté ».
Ces enfants sont soustraits à leurs parents dans des circonstances souvent ambigües, obscures.
Écoutons Patrick nous raconter l’histoire de sa famille.

« Ma mère a quitté Cilaos à l’âge de 11 ans et est partie en France avec des Sœurs de l’église catholique. Elle s’est retrouvée dans le village de Saint-Afrique (en Aveyron) où elle est devenue pupille de l’état ».
Elle est allée à l’école primaire puis a très vite dû travailler (…) Elle s’est mariée, a eu deux enfants (…) Ma sœur est toujours là-bas, en France (…) Moi, j’ai quitté la France très jeune (…) j’ai voyagé un peu partout, en Indonésie, au Népal, en Inde où j’ai vécu et appris auprès d’un sadhu… Je suis revenu à La Réunion en 1999 pour retrouver mes racines qu’on m’avait volées… »
Cette conversation nous a profondément bouleversés.
Combien sont-ils aujourd’hui comme Patrick, en France, à La Réunion ou ailleurs, à chercher, à essayer de recomposer leur histoire et celle de leur famille?

Nous avons eu la chance de parcourir une grande partie de la région autour de Cilaos…


Surprise avant le départ du bus…

Nous avons profité au maximum de ce réseau de petites lignes de bus…


J’ai fait ce jour-là, entre le bourg de Terre Fine et l’entrée du canyon Fleurs Jaunes (en passant par le village de l’Ilet à Cordes), l’une de mes plus belles randonnées!


Cette petite excursion de 7 ou 8 kilomètres, sous un soleil de plomb, m’a rappelé certaines de mes promenades historiques préférées, à une altitude similaire (1200-1500 mètres) autour de Dalat, au Vietnam ou, au milieu des plantations de thé de la Hill Country, près de Ella, au Sri Lanka. Ou encore, au Rwanda, près du Parc national des volcans, entre Kinigi et Musanze.
Souvenirs de voyages inoubliables auxquels j’ajouterai maintenant cette journée de marche à proximité de Cilaos.
Note: les pitons, cirques et remparts réunionnais ont été inscrits en 2010 au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Rebelote le lendemain, avec Diana cette fois, pour une expédition à deux volets.
En premier lieu, reconnaissance et courte excursion…

… où nous faisons figure de petits plaisantins face aux randonneurs aguerris qui ont entrepris, en pleine nuit ou à l’aube, l’ascension vers le sommet…


Nous poursuivons ensuite notre aventure jusqu’à un autre village du bout du monde…

C’est mercredi. Il n’y a pas d’école et les mamans du village…


Nous avons vécu à Cilaos une semaine splendide!
Comme partout où nous sommes passés à La Réunion, l’accueil a été amical, fraternel, bienveillant. On nous a souvent pris pour un couple réunionnais! Y a-t-il plus beau compliment lorsqu’on voyage en terre étrangère?

Nous repartons demain pour Saint-Denis.
Avant de rejoindre, samedi, l’île Maurice.
Au programme, une semaine à Mahébourg, un village côtier, au calme, situé au sud-est de l’île.
Diana regagnera ensuite, comme prévu, Calgary.
De mon côté, je poursuivrai le voyage jusqu’à la petite île de Rodrigues…
Avant de revenir à Maurice, début janvier, et le retour à Vancouver, le 12 janvier.

Joyeuses Fêtes à tous!


Bonjour à tous les deux,
Merci pour ces beaux articles ! Ils donnent envie de découvrir cette très belle île.
Bises
Viviane
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Merci beaucoup, Viviane! Quelle bonne surprise d’entendre de nouveau ta voix dans le blog! Vous allez sûrement adorer La Réunion si vous y allez! Notre seul regret est de quitter l’île juste avant la « Fête de la liberté », un jour important et férié ici, le 20 décembre, qui commémore la proclamation de l’abolition de l’esclavage. Il y a des événements, des fêtes, des célébrations un peu partout. C’est LA journée de l’année. À bientôt!
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J’apprécie beaucoup la découverte de ces magnifiques paysages et du petit village. Sensations tellement différentes de ce que vous avez partagé quand vous étiez à Saint-Pierre.
L’histoire de Patrick est un rappel des traumatismes créés par les colonisateurs français dans ce cas à la Réunion et de la souffrance qu’ils imposent à ceux et celles qui ne leur ressemblent pas et qu’ils oppressent sans aucun remord moral. Ah! l’humanité n’est pas souvent glorieuse.
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Merci beaucoup, Florence. Tu as raison, on ne parle pas assez dans les livres d’histoire ou dans les écoles des injustices et des tragédies causées par la colonisation. Combien de jeunes Réunionnais connaissent aujourd’hui l’histoire des « enfants de la Creuse »? Le brouhaha des réseaux sociaux efface l’histoire, la mémoire du monde.. C’est bien dommage. Je te souhaite de Joyeuses fêtes, Florence! Au plaisir de reprendre bientôt nos promenades. A+
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Vous finissez en beauté cette découverte de La Reunion ! belle prochaine etape sur les plages de Maurice!! Encore merci de partager emotions, paysages, rencontres, histoire… bises.
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Merci beaucoup, Christiane! Nous sommes en route ce matin pour l’île Maurice! Très reconnaissants de pouvoir réaliser cette aventure. Nous te souhaitons de super belles fêtes en famille! Merci pour tout. À bientôt!
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Quel beau récit Max! Oui, tu nous donnes vraiment envie d’aller découvrir cette belle île.
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Merci beaucoup Alix! Je sais que vous allez adorer découvrir La Réunion! On en parle à Montréal, autour d’une bonne carte, fin mai? Bonnes Fêtes de fin d’année! À bientôt!
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The mountains, forest and waterfalls are certainly a change from the sun and sand. Looks like you are really learning about and experiencing the diversity of Reunion’s landscape! Bravo!
Certain parts of Reunion remind me of Sainte Lucie and Martinique especially the mountainous hills and winding roads. I remember constantly shifting the car’s gear stick on tight turns and trying not to roll back when getting into gear after a stop on the steep and gravelly hills.
The dark history of les enfants de la Creuse is similar to the Sixties Scoop in Canada when indigenous children were taken from their families. Is there a policy of reconciliation?
Way to go with the challenging hikes – chapeau, Max and Diana!
Spectacular jacaranda! Classic creole boudin! Trop bien!
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Very accurate remarks and great questions, dear A.! Not sure about a « reconciliation » process in La Réunion regarding « les enfants de la Creuse ». Most adults on the island are aware of this dark period but very few talk openly about it. The topic is unfortunately not included in the schools’ curriculum. The issue is deeply personal and we’ve been told that each affected family is coping on their own with this inter-generational trauma. Yes, the Jaracandas are spectacular! And we miss them on the south-east coast of Maurice. Very different atmosphere here with a very strong Indian culture and presence all around. Joyeux Noël, A! Big hugs!
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Bonjour Max,
Ton « reportage » à propos de Cilaos m’a fait regretter de ne pas y avoir passé plus de temps.
Je te souhaite un Joyeux Noël et une Bonne Année au bord de l’Océan Indien!
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Merci infiniment, Josiane! Cilaos a effectivement été notre plus belle étape à La Réunion! À mon avis, vu tes liens avec « l’île intense », il n’est pas trop tard pour songer à y retourner un jour? Nous t’accompagnerons peut-être! Joyeux Noël et Bonnes Fêtes, Josiane!
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