Étudiant à l’université McGill de Montréal à la fin des années 70, j’ai eu la chance d’assister en 2è ou 3è année – fasciné – à une série de cours sur la vie et l’oeuvre du poète Charles Baudelaire.
Un épisode m’avait particulièrement marqué. En juin 1841 (il a 20 ans), Baudelaire est contraint par sa famille d’embarquer à bord d’un bateau à destination de… Calcutta, en Inde. Objectif: éloigner le jeune homme de la vie oisive, dissipée, « scandaleuse » qu’il mène à Paris auprès de ses amis.
Après trois mois en mer, une tempête oblige le navire, le Paquebot des Mers du Sud, à faire une longue escale (19 jours) à Port-Louis, à l’île Maurice.
Le bateau appareille ensuite pour Saint-Denis, sur l’île Bourbon – île qui sera rebaptisée, en 1848… La Réunion.
Baudelaire passe 45 jours à l’île Bourbon, où palpitent « la langoureuse Asie et la brûlante Afrique… ». Il explore le nord, le centre de l’île. Provoque, apparemment, un scandale dans un hôtel. Vit quelques aventures amoureuses. Et refusera, en novembre 1841, d’embarquer pour Calcutta. Il reviendra en France sans avoir vu l’Inde. Ce sera son seul grand voyage.
De l’île Bourbon, dans une lettre à sa mère, datée d’octobre 1841, Baudelaire écrit : « J’ai pu rédiger (lors de ce voyage) quelques ébauches de poèmes qui je l’espère, un jour, feront partie d’un recueil ».

« Les Fleurs du mal » seront publiées en 1857.
Au coeur du recueil, des poèmes parmi les plus beaux de la langue française…
« À une dame créole » (« Au pays parfumé que le soleil caresse… »)
« Parfum exotique »… « La chevelure »… « L’invitation au voyage »
Poèmes directement inspirés par son séjour dans les Mascareignes…


Nous voilà donc, depuis jeudi, à Saint-Denis, à La Réunion!

C’est le début de l’été austral ici et de la saison pluvieuse. Le thermomètre oscille entre 27 et 29 degrés.
Afin de nous remettre au plus vite du décalage horaire (12 heures entre Vancouver et Saint-Denis), nous décidons vendredi matin de faire une première sortie dans les rues du centre-ville.
Il est à peine 9 heures. La plupart des magasins sont encore fermés. Mais nous avons besoin de prendre l’air, de nous dégourdir les jambes après le long voyage en avion.
Après avoir quitté notre appartement, situé dans un secteur calme de la rue Jules Auber… il ne nous faut que quelques minutes pour constater l’immense diversité de la population de Saint-Denis!


Tout en bavardant avec des passants, notre promenade nous emmène aux abords du « Petit marché », une véritable institution à Saint-Denis…


Beaucoup d’ambiance, de produits frais dans ce « petit marché », propre, convivial où nous sommes retournés souvent.
Diana y est aux anges, échangeant avec les commerçantes, les résidentes de la ville faisant leurs courses, pendant que je sirote, tout près, un café.
Sur le chemin du retour, nous dégustons dans l’un des restaurants de notre quartier, notre premier vrai repas réunionnais-mauricien.

Une première journée bien remplie!
(Nous avons aussi goûté pendant notre séjour au rougail-saucisse, au boudin créole et au chou de palmiste, plats traditionnels réunionnais…)
Quelques jours plus tard, retour au « Petit marché »…

… suivi d’une randonnée d’une trentaine de minutes le long du chemin côtier…

Nous allons ensuite observer d’un peu plus près le (très coloré) temple tamoul de Saint-Denis, le temple Kali Kampal, dédié à la déesse Kali, symbole de l’amour maternel.


Nous rencontrons devant la porte du temple, deux belles-soeurs, Kinzy et Magali, qui vivent à l’extérieur de Saint-Denis. Elles ont décidé ce jour-là de passer la journée ensemble…
Longue conversation amicale sur nos familles et nos parcours respectifs. Vous l’aurez deviné: Kinzy et Magali ont toutes les deux des grands-parents originaires de l’Inde (Mumbai pour Kinzy, Pondichéry, pour Magali).

C’est le moment de faire un peu d’histoire et d’expliquer rapidement – en 4 temps – les sources et la chronologie de cette incroyable diversité à La Réunion.
Vu son positionnement, jusqu’au milieu du 17è siècle (1650 environ), il n’y a pratiquement personne sur l’île Bourbon, à part quelques navigateurs/flibustiers qui y font relâche pour de courtes périodes afin de réparer leurs navires, etc…
1 – Aux alentours de 1664, la Compagnie française des Indes établit un comptoir sur l’île Bourbon afin de développer la culture du café. Des milliers d’esclaves sont emmenés de force de Madagascar, du Mozambique, d’Afrique de l’ouest et sommairement vendus aux premiers colons établis sur l’île.
2 – Très vite, la culture du café prospère. La population de l’île Bourdon explose – passant d’environ 700 habitants en 1700 à plus de 15 000 en 1750, dont 80% d’esclaves.

3 – Cependant, après deux gigantesques cyclones (1806 et 1807) qui ravagent les plantations de café, les colons décident de transformer radicalement l’économie de l’île autour d’une nouvelle culture: la canne à sucre, plus résistante aux intempéries.
4 – « Une véritable industrie se met en place », nous disent les historiens, « le besoin de main d’oeuvre se fait immédiatement sentir. On assiste entre 1828 et 1885 à une immigration indienne tamoul massive et, à partir de 1844, à l’arrivée de travailleurs agricoles chinois. » En 1848, année où l’esclavage est aboli en France, La Réunion compte plus de 110 000 habitants.

Coll. Archives départementales de La Réunion. Ces travailleurs indiens, venus du Tamil Nadu, d’Orisa gagnent un salaire de misère sur les plantations de canne à sucre. À partir de 1850, un véritable « pont » se met en place pour transférer, de Pondichéry et d’ailleurs, des millers de travailleurs indiens vers La Réunion. Ce sont « les engagés ».


Il faut bientôt quitter Saint-Denis…

Ultime rencontre dimanche, après la messe, avec Henriette, qui remporte (selon moi) la palme de la francophonie à Saint-Denis!

Deux remarques pour terminer:
1 – Autant nous avons aimé notre (court) séjour à Saint-Denis, autant nous avons regretté la carence de parcs ou d’espaces verts dans la ville. Il y en a quelques-uns mais, à notre avis, pas assez. Saint-Denis est une ville très urbaine et bénéficierait (selon moi) d’un peu d’oxygène. La mer, toute proche, qui borde le centre-ville, étant dangereuse et la baignade interdite.
2 – Pourquoi les Réunionnais sont-ils si attachés à leur voiture? Il y a tous les jours, aux heures de pointe notamment (un peu comme à Papeete) des embouteillages monstres à et autour de Saint-Denis.
Nous poursuivons notre route demain matin vers Saint-Pierre (2 heures de trajet environ). Pour y arriver, nous emprunterons l’un des nombreux « Cars Jaunes » – modernes, climatisés – qui sillonnent les quatre coins de l’île –
Coût du trajet, avec la ligne T, entre Saint-Denis et Saint-Pierre? 5 euros. Infos sur les « Cars Jaunes »: ici.

Notes de lecture:

Jean- Philippe Pleau, Rue Duplessis – (Montréal, 2024)
Un livre dont on a beaucoup parlé au Québec cette année. Que j’ai lu en quelques heures, profondément ému, bouleversé par la franchise de l’auteur et l’honnêteté de sa démarche autour d’un sujet délicat, presque tabou.
Jean-Philippe Pleau est ce qu’il appelle lui-même un « transfuge de classe ». Né dans une famille très modeste, il grandit à Drummondville (à mi-chemin entre Québec et Montréal) auprès d’une mère peu scolarisée et d’un père analphabète, alcoolique, xénophobe, soudeur dans une fabrique d’enseignes. Peu ou pas de livres à la maison. Le soir, sur la table du souper, du « macarouni » gratiné au fromage Kraft accompagné d’une soupe en boite…
Grâce aux études, le jeune homme parvient peu à peu à quitter son milieu. Au Cégep (école secondaire), un enseignant, le professeur Grégoire, lui confie la gestion d’une petite revue littéraire. Il écrit, prend contact avec des auteurs, des poètes. C’est le déclic. Il entre à l’université (Laval, UQUAM) étudie la sociologie puis se fraie un chemin et perce dans le monde des médias. Jean-Philippe Pleau est aujourd’hui un personnage connu au Québec, animateur d’une émission d’idées et de philosophie à la radio de Radio-Canada.
Entre Drummondville, Québec et Montréal, le « roman » retrace les étapes, parfois drôles, souvent douloureuses, de son parcours de « transfuge ». Véritables montagnes russes. Parcours semé d’embûches, de questionnements. Marqué par l’angoisse de faire au travail ou en société un faux-pas. La crainte, perpétuelle, d’être dévoilé, démasqué et ramené à son milieu d’origine – « à la vie de misère et d’exclusion » de ses parents.
Nombreuses et intéressantes références dans l’ouvrage à d’autres célèbres « transfuges de classe »: Pierre Bourdieu, Annie Ernaux et, au Québec, Caroline Dawson (née au Chili) dont j’avais a-d-o-r-é le roman « Là où je me terre » publié en 2020. Voir ici.
Un récit courageux, à mettre en bonne place sur les rayons des bibliothèques publiques, partout au pays et au-delà.
Bonne fin d’automne à tous!

Je l’attendais ce premier récit de votre periple dans l’Archipel des Mascareignes! Merci Max de poursuivre ton Carnet de voyage… qui nous emporte sur votre sillage! Belle continuation a la Reunion: Cilaos devrait vous regaler en espaces verts et paysages superbes; Belles balades dans les hautes terres!
Bises a vous 2
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Merci beaucoup, Christiane! Changement complet de décor et d’atmosphère depuis notre arrivée à Saint-Pierre hier. J’ai l’impression d’être dans les Caraïbes, à Cuba ou en Haïti. Nous habitons dans un quartier modeste, tout en haut de la ville, à quinze minutes de marche de la grande plage municipale qui était bondée her après-midi. Nous y retournerons ce matin, vers 8h, pour une baignade avec les Réunionnais avant leur journée de travail. Etais-tu passée par Saint-Pierre lors de ton séjour dans l’île? Bonne fin d’automne dans le sud-ouest! A+
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bonjour Diana et Max,
En fait je ne connais pas St Denis, car j’y suis arrivée puis départ immédiat pour St Pierre où habite un cousin; je connais donc cette partie de la Réunion, inclus le piton de la Fournaise et la cote Est qui revient sur St Denis; j’avais trouve St Pierre et région fort sympa, vibrant de couleur et bel accueil; Vous aurez un autre changement de décor avec Cilaos..!
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Merci, Christiane! Quel beau voyage cela a dû être!
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Merci, Max, pour ce premier compte-rendu du voyage dans l’archipel des Mascareignes. Je trouve l’historique de l’île de la Réunion très intéressant. Quels étaient les Autochtones quand les Français sont arrivés? Y-en-a-t-il encore après toute l’immigration organisée pour peupler l’île et exploiter ses terrains aptes à l’agriculture? Bonne continuation de voyage avec ces découvertes qui vous passionnent tant!!
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Bonjour Florence, tu poses une excellente question! D’après les historiens, jusqu’au milieu du 17è siècle (1650 environ), il n’y a en fait pratiquement personne sur l’île Bourbon, à part quelques navigateurs/flibustiers qui y font relâche pour de courtes périodes afin de réparer leurs navires, etc… Donc pas d’autochtones. Ce n’est qu’à partir de 1650 que la France déporte sur l’île Bourbon un petit groupe d’esclaves malgaches qui se sont mutinés à Madagascar contre les autorités françaises. Pendant une quinzaine d’années (1650-1665) la population grandit lentement, composée d’esclaves et de français.
Voilà ce que résume ensuite un ouvrage: « En 1663, un groupe de douze, deux Français dont Louis Payen et dix Malgaches, dont trois femmes, sont déposés dans la baie de Saint-Paul pour entamer un peuplement définitif de l’île. On leur laisse semences, cabris, cochons et outils pour s’installer (…) « En 1665, 20 autres « voyageurs » les rejoignent et s’installent à Saint-Paul… » Incroyable, non? C’est inouï quand on y pense. On pourrait discuter/débattre de ces événements très longtemps.
J’espère que tu vas bien!
A+
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Cela est vraiment très intéressant. Merci d’avoir pris le temps de faire la recherche. La manipulation des peuples par les colonisateurs, les Blancs.
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Merci Florence. Grâce à ta question, j’ai ajouté une clarification dans la section de l’article qui résume le cruel début du peuplement de l’île. A++! À bientôt!
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Merci pour votre partage de l’experience « reunionaise ». J’espere pouvoir refaire votre voyage un jour. Merci et bonne continuation. Mohamed Korch
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Quelle bonne surprise de vous lire, Mohamed!
Au plaisir de poursuivre notre conversation à Vancouver ou à New Westminster à notre retour!
Bien amicalement.
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Tes mises en contexte sont toujours aussi pertinentes Max. Les témoignages que tu nous présentes leur donnent une résonance intéressante. On attend la suite.
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Merci beaucoup, Alix! Nous sommes à Saint-Pierre dans un monde complètement différent de celui de Saint-Denis. Un autre visage de La Réunion, plus sauvage, tropical, créole, avec la mer, accessible ici, toute proche. Nous allons nager ce matin. On prévoit jusqu’à 29 degrés aujourd’hui et demain. Olé!
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Quel plaisir, Max, de lire ton carnet de voyage sur ton séjour à Saint-Denis! Cela a fait remonter en moi tant de souvenirs : le plus mauvais, cet esclavage des Réunionnais vis-à-vis de la voiture et dont la principale cause est l’attitude du gouvernement français, et surtout les bons: l’incroyable diversité ethnique et culturelle et l’harmonie religieuse (c’est frappant de voir séparés de seulement quelques centaines de mètres un temple « tamoul » (hindou), une mosquée et une église!)!
En effet il manque d’espaces verts à Saint-Denis mais peut-être que les Réunionnais compensent en allant pique-niquer à la plage ou dans les « hauts ».
J’ignorais que Baudelaire avait séjourné à La Réunion. Je chercherai les textes qu’il a écrits à ce propos.
Bon séjour à Saint-Pierre à tous les deux!
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Merci, Josiane! Je rentre de la plage. Magnifique première baignade dans l’eau claire et fraîche de l’océan Indien. Sable blanc de la plage municipale sous les pieds. De petits poissons bleus zigzaguent dans l’eau. On est bien ici, loin, très loin de l’agitation et de la circulation de Saint-Denis. En rentrant à la maison, découverte du marché couvert. Je crois que nous allons adorer Saint-Pierre. Nous avons bien fait de prévoir une longue hate (10 jours) ici. J’ai un peu l’impression d’être en Haïti ici. Bonne fin de séjour en France! Porte-toi bien! Nous comparerons nos notes de voyage début 2026.
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Bonjour Max et Diana.
Very interesting about Baudelaire! I must read his poems.
Much cultural diversity from slavery, labourers, colonialism, immigration and the mix of religions appear to coexist. Am thinking about the fusion of cuisines – must be quite the foodie adventures. Fantastic marchés – love the eye candy. Then you also have sun, sand and beautiful scenery. Looks like you and Diana have found another piece of paradise!
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Thank you so much Carte Diem, we have indeed found in Saint-Pierre a little tropical gem – with the only quibble that is is very hot here. Up to 30 degrees most days since our arrival on Tuesday. We venture out each morning to the beach and feel blessed to be able to swim in the clear, clean, cool water of the ocean. Then it’s time to do a bit of shopping around the lower town, linger around the outdoor markets and then lunch before retreating to our quiet apartment with AC. Went for lunch yesterday with the ex Vancouver Alliance Française librarian who has now settled in La Réunion with her family. We are not planning to do any big excursions outside of Saint-Pierre, we are just happy and grateful to live like (and with) the locals enjoying this beautiful and colorful island. I hope all is well, Carpe Diem. Looking forward to our next get-together.
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