Derrière les images de cartes postales…


Que se passe-t-il vraiment à Fakarava?
Comment la population, les résidents permanents, 900 habitants environ, vivent-ils ici?
Dans l’une des 76 îles de l’archipel des Tuamotu – le plus vaste archipel de la Polynésie française. Et l’un des moins visités. (Voir la carte ci-dessous).
C’est ce que j’ai voulu savoir, essayer de comprendre, pendant mon séjour à Fakarava.
Mais avant, un peu de géographie et quelques photos/images pour mieux saisir le contexte.
Tuamotu = « îles nombreuses et lointaines » en tahitien.
Sur cet immense territoire (équivalant à la superficie de l’Europe de l’ouest), seules une cinquantaine d’îles sont habitées en permanence. Les autres ne sont habitées que sporadiquement, pendant la saison de la récolte du coprah ou comme base pour des expéditions de pêche.

Fakarava est, par endroits, scandaleusement belle, paradisiaque, enchanteresse… (ajoutez ici vos superlatifs)




C’est au coeur de Rotoava, dans une modeste pension, que j’ai posé le 23 décembre mon sac…


… alors que les habitants de l’île s’apprêtent paisiblement à célébrer Noël…


Les Fêtes terminées, j’ai tendu l’oreille. Et il ne m’a fallu que quelques heures, en me promenant dans le village, pour commencer à comprendre les immenses défis auxquels est confrontée la population à Fakarava.

Derrière le comptoir de son petit établissement, Angelina m’explique qu’à part le « pota » (le chou vert qu’on retrouve partout en Polynésie) et un peu de laitue, « pratiquement rien ne pousse à Fakarava.«
L’île est un anneau de corail, l’infime partie émergée d’un volcan qui s’est effondré dans l’océan, il y a des millions d’années. La terre est bien trop aride.

« Une fois par mois », m’explique Angelina, « nous sommes ravitaillés par le bateau, le Cobia 3, qui part de Papeete le lundi et arrive à Fakarava le mercredi matin ».
« Des heures avant l’arrivée du bateau, il y a de longues files d’attente devant les deux magasins qui reçoivent les provisions. Les gens viennent en priorité acheter des produits frais, des légumes: tomates, concombres, avocats, oignons, poivrons, aubergines. Toute la marchandise part en un clin d’œil. En quelques heures, il ne reste pratiquement plus rien« .
Ce que j’ai pu vérifier, l’après-midi de mon arrivée, le 23 décembre, dans l’un des magasins, situé près du quai de Rotoava.

« Cette année », poursuit Angelina, « à cause des Fêtes, le Cobia 3 est arrivé ici le 20 décembre. Le navire ne reviendra approvisionner l’île qu’au début du mois de février« . Dans six semaines.

Cette carence chronique de produits frais dans les commerces est un défi de taille pour la population, y compris pour la petite communauté d’expatriés (moniteurs de plongée, gérants de pensions…) établie à Fakarava.
« Je rêve régulièrement de manger une bonne salade de tomates« , me confie un après-midi, Laurence, Française d’origine italienne, qui gère admirablement avec son mari, ex-enseignant, la pension où je réside.
Tous les deux travaillent d’arrache-pied. Pour entretenir, faire tourner la pension. Dès 5h30 du matin. Sept jours sur sept. Ils adorent leur aventure à Fakarava. Mais, après six mois, avec un jeune enfant, ils songent déjà à repartir, à quitter l’île.
Malgré les plages, le cadre merveilleux, un taux de criminalité proche de zéro, le manque d’accès à une nutrition saine n’est plus, pour eux, négociable.


En allant régulièrement à pied ou en vélo au village, à la rencontre des résidents, j’ai fait, comme avec Diana à Huahine, d’extraordinaires rencontres!
Un matin, alors que je descends de vélo et m’apprête, au bout du village, à aller nager, une voix m’interpelle. Une dame, d’un certain âge, s’approche en souriant et vient se présenter.

« Je m’appelle Pauline », dit-elle. « J’ai dansé et chanté, quand j’étais jeune, dans les endroits les plus prestigieux de Paris, et dans toute la France. J’ai chanté au Palais de Chaillot, j’ai dansé au Moulin Rouge… »
Je n’en reviens pas. La dame qui me parle, avec ses yeux pétillants, a une diction impeccable et l’accent de Paname d’un vrai titi parisien!
Pauline a envie de parler. Je m’assieds et je l’écoute, attentif, au bord de la plage, me raconter ce qui est sans doute l’un des épisodes marquants de sa vie.
À l’âge de 16 ans, alors qu’elle grandit à Fakarava, un couple français emmène Pauline en France. En quelques semaines, elle se retrouve enrôlée dans une troupe de danse et de chant, en tournée dans toute la France. Bordeaux, Toulouse, Paris… Elle n’en dira pas plus….
J’ai revu Pauline deux ou trois fois pendant mon séjour, toujours au même endroit, et elle me répétait chaque fois la même histoire: « j’ai dansé et chanté… »

J’ai aussi eu la chance de faire à Fakarava la connaissance d’un jeune homme étonnant, plein de talent, Paui, 26 ans, déjà père de deux enfants et animateur hors-pair lors de nos excursions en mer ou sur le lagon.


L’histoire récente des îles Tuamotu a aussi, malheureusement, été marquée par la désastreuse série d’essais nucléaires (193 essais) réalisés par la France, entre 1966 et 1996, autour de deux atolls, Moruroa et Fangataufa, situés dans le sud de l’archipel (voir la carte plus haut).


L’Association 193 (lien Facebook), créée pour défendre les familles des victimes des essais nucléaires, se bat aujourd’hui, bec et ongles, afin que ces familles, sur les 5 archipels, soient, enfin, indemnisées.
Le combat est souvent difficile, inégal, semé d’embûches, face aux autorités françaises.
Tout mon respect et voeux de succès aux membres de l’association et à leurs familles.


Cet épisode tragique des essais nucléaires, sur ces îles isolées, est un drame, une disgrâce, dont, selon moi, on ne parle pas assez. C’est très dommage.


Difficile, dans les Tuamotu, de ne pas poser LA question qui me brûle les lèvres depuis mon arrivée.
Et la « montée des eaux », à Fakarava, et dans les autres îles de l’archipel?
« Ce n’est qu’une question de temps« , me répond Charles, rencontré un après-midi alors qu’il se rend à son travail, dans une fabrique, reliée à l’industrie de la perliculture.

Charles, 67 ans, né à Tahiti, vit et travaille depuis de nombreuses années à Fakarava. Il m’explique dans un français hésitant que « la montée des eaux » est un phénomène que personne sur l’île n’ignore. Un phénomène dont personne non plus ne parle ici.
Mais Charles est formel. « Dans trente, quarante, cinquante ans, tout cela, les habitations, les routes, auront probablement disparu.«
Pourquoi les gens ne parlent-ils pas de ce phénomène? – Et est-il inquiet?
« Le Polynésien » me dit-il, « ne parle pas de ces choses-là. De l’avenir. Nous ne savons même pas ce qui va nous arriver demain. Nous préférons vivre dans le présent. Nourrir nos familles, prendre soin de nos enfants, de nos proches. Être près de la nature… »
J’ai entendu exactement le même discours, le même raisonnement, chaque fois que j’ai, à Fakarava, abordé le sujet. Fatalité ou sagesse polynésienne?
Pour ceux abonnés au journal « Le Monde », voir ici l’excellent article (juin 2023) consacré à la montée des eaux et aux enjeux environnementaux dans deux îles, Hao et Takaroa, de l’archipel des Tuamotu.


J’ai passé à Fakarava l’un de mes plus beaux et authentiques séjours en Polynésie française!
Merci à tous ceux et celles – riverains, gérant(e)s de pension, compagnons de voyage venus de France, de Belgique, d’Australie, des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et d’ailleurs -rencontrés lors de mon séjour!
Vivre pendant dix jours à Fakarava m’a permis de mieux comprendre à quel point le quotidien, ici, diffère des îles plus prospères et plus accessibles, au sud du territoire. Cela valait vraiment la peine de venir jusqu’ici.

J’ai rencontré la veille de mon départ, au bord de la plage où vit Pauline, l’un des vieux sages de l’île. Je n’ai malheureusement pas pris sa photo. Cet homme de 65 ans, né à Moorea, m’a expliqué qu’il a fui, il y a plus de vingt ans, son île natale, « sacrifiée » m’a-t-il dit, au tourisme.
« Je suis venu à Fakarava pour retrouver l’authenticité de notre « Fenua », perdue à Moorea, à Tahiti, à Bora Bora. J’ai acheté une petite maison, au bord du lagon, et je vis maintenant simplement, près de la nature. Je vais pêcher. Je prends soin de mes cocotiers. Je travaille avec des groupes communautaires à faire respecter ici les règles nautiques et environnementales de la biosphère de l’Unesco. Ce n’est pas facile. Les plaisanciers étrangers débarquent en bateau à Fakarava, souvent sans permis, ils ne se déclarent pas à la mairie, ne payent pas les frais d’amarrage… Les mentalités doivent changer ». Sages paroles.
Combien de temps encore les habitants de Fakarava pourront-t-ils résister au rouleau compresseur, à l’assaut du tourisme à grande échelle?
Je leur fais confiance.
Au revoir Fakarava! – et merci!

Je vous laisse avec quelques photos de Moorea justement, « »l’île soeur » (de Tahiti) où je termine ce troisième séjour au Fenua.
Moorea où nous avions, après Papeete, débuté en novembre 2022 notre premier voyage en Polynésie française!

L’île a beaucoup changé en deux ans! Quelques constructions sauvages défigurent maintenant le littoral. Plus de circulation automobile. Plus de monde surtout!
Il y a, à Moorea, 18 000 résidents permanents -mais, peut-on lire dans un article de magazine publié il y a quelques mois, « c’est sans compter les touristes et résidents de Tahiti qui, lors de certains weekends prolongés, font plus que doubler la population qui s’approche alors des 40 000 habitants » (Le Magazine de Moorea, mars 2024)
Comment ces chiffres vont-ils évoluer, lorsqu’on sait que le nouveau gouvernement veut tripler à 600 000 par an le nombre de visiteurs en Polynésie française? (260 000 touristes ont visité le territoire en 2023).

Pour terminer, petit clin d’oeil sur une partie de ma journée, en bateau, le lundi 6 janvier, sur le lagon de Moorea.



La lenteur de la France dans le dossier des conséquences des essais nucléaires en PF est proprement scandaleux.
Il y aurait beaucoup à dire des relations entre la France et ses Outre-mer. Le retard à interdire le chloredecone , un pesticide, utilisé en Martinique et Guadeloupe est un autre scandale dont on parle peu. Alors que la dangerosité de ce pesticide est connue depuis 1969, son utilisation dans ces îles a continué jusqu’en 1993 grâce à des dérogations accordées par le ministère de l’agriculture, sous pression de planteurs et d’industriels.
Bon retour à Vancouver. Vas-tu travailler pour la campagne de Christy Clark pour la présidence du parti libéral du Canada?
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Tu as tout à fait raison, Alix, dans le dossier des essais nucléaires en PF. C’est impardonnable de la part des autorités françaises. Je ne comprends pas pourquoi les Polynésiens ne poussent pas plus haut, plus fort, leurs revendications et leur droit à une indemnisation. Il y a pourtant eu à Papeete, en 1995, une forte mobilisation de la population contre la reprise des essais nucléaires. Où est passé cet élan pour obtenir la reconnaissance des torts causés aux familles touchées par cette tragédie? À suivre, avec le nouveau gouvernement autonomiste élu en 2023? Pas sûr.
Pour ce qui est de la succession de Justin Trudeau, je ne pense pas qu’il ait dit son dernier mot. À 53 ans, il reviendra sans doute sur la scène politique, comme son père.
Pour Christy Clark, j’ai une photo avec elle prise en 2009 à l’école où je travaillais. Elle a un charisme redoutable. Ce que n’ont pas la plupart des autres aspirants. Et elle prend des cours de français, dit-on…
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Wow merci Max pour cette véritable leçon de géographie , et une ouverture sur ce magnifique Tuamotu , ses défis et merveilles! Tu as vraiment le don de te glisser au plus proche des pays que tu visites et des habitants et d’écouter, admirer, saisir sur le vif les soucis, joies et philosophie de nos compatriotes si lointains! Fakarava , à travers tes yeux et réflexions, nous apparait a la fois comme idyllique et menacée…
Cela me fait chaud au cœur d’aller à la rencontre, grâce a toi, de ce coin du monde et de chaque personne que tu mentionnes; quelle beauté dans la diversité! Je garde cela comme mantra pour 2025!!!
Beau retour à Vancouver et chère Diana.. et a bientôt!
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Merci infiniment, Christiane! Ce séjour à Fakarava m’a vraiment ouvert les yeux sur la réalité de vivre aux Tuamotu. On est très loin à Rotoava de la carte postale. Mais cela a été une fabuleuse expérience de vivre dix jours dans ce petit bungalow. J’ai réalisé une nuit, pour la première fois, à 30 mètres de l’océan, à quel point j’étais, avec la population entière de Fakarava, vulnérable. Il aurait suffi que l’eau monte de 2 ou 3 mètres pour que pratiquement tout, sur l’île, soit emporté. Et il n’y a aucune montagne, pas même un monticule, où on aurait pu se réfugier! J’ai commencé le lendemain à mieux regarder la solidité des troncs de cocotiers, seuls refuges possibles en cas de montée rapide et imprévue de l’océan. Je te souhaite un bon début d’année! Prends bien soin de toi. Au grand plaisir de te revoir dans 4 mois!
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Bonjour Max,
Incroyable la couleur de l’océan dans les lagons!
Quel dommage que les autochtones ne puissent pas faire pousser leurs propres légumes!
Bon voyage de retour!
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Merci beaucoup, Josiane! C’es vrai que la couleur de l’eau dans les lagons est extraordinaire, mais ce qui est encore plus incroyable c’est, qu’à part les 7-8 personnes dans le bateau, il n’y a absolument pas un chat à 1 ou 2 kms à la ronde! Presque seuls au monde dans ces lagons magnifiques. J’espère que tu vas bien. Bon début d’année! Josiane, nous aurons prochainement besoin de tes conseils et de tes suggestions pour La Réunion. On s’en reparle. À bientôt!
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Quel incroyable périple, si près des problèmes des tahitiens et de la beauté des lieux. Ces essais nucléaires français sont lamentables étant donné leur impossibilité à reconnaitre les torts faits aux habitants. Encore les privilégiés qui font leur sale travail chez les autres, surtout ceux qui ne pourront pas se défendre dû aux distances et le manque financier. Le tourisme qui s’il était fait dans le respect changerait un peu la donne. L’humanité des fois m’irrite. Tu transmets si bien ton intérêt pour les habitants ton implication dans des conversations qui touchent aux questions importantes. Vivre au paradis dans la pauvreté pour un grande nombre à regarder les conditions qui se dégradent ou habiter dans des lieux pollués, etc. Mais en 2025, il faut de l’espoir et continuer à défendre ce qui nous semblent des valeurs justes pour toutes et tous. J’ai hâte de te revoir. Max, profite à fond… Florence
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Merci beaucoup, Florence! On se revoit bientôt!
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Hmmm…Max…
When I think of Polynesia, I envision sun, sand and I also think of Paul Gauguin whose exotic Polynesian paintings depict his legacy of abuse and sexual exploitation of very youngTahitian girls. #metoo.
Provocation: Gauguin is an opportunistic pedophile who used white male privilege and colonialism to prey – artist or monster?
Provocation: Is France willing to address/redress her legacy of colonialism and decolonize – support independence, self-determination?
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Wow, Discuss, there is a lot to unpack here! I think that most Polynesians have very mixed feelings about Gauguin (mostly negative because of his anti-clerical views). Regarding France, there is a complex relationship with the « popas » as they are called here. I do not think France is ready to grant independence to FP. I am at the airport in Papeete. Let’s further discuss this with Diana over lunch on The Drive. Looking forward to reconnect.
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